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Behind Blue Eyes

Dans l’ombre des chiffres fous de Kaveh Rezaei ou des slaloms de Cristian Benavente, Marco Ilaimaharitra est peut-être l’artisan majeur du meilleur Charleroi de la saison. Retour sur une histoire déjà presque aussi longue que son nom.

Déjà prise pour cible par Peter Olayinka quelques semaines plus tôt, la cheville ne résiste pas à un duel précoce avec José Cevallos. C’est sans Marco Ilaimaharitra et sans victoire que Charleroi se traîne jusqu’au bout de la phase classique. L’international malgache, débarqué dans le Pays Noir l’été dernier pour succéder au long règne de Damien Marcq sur l’entrejeu carolo, a déjà posé sa griffe sur le Sporting.

J’ai un bon volume de jeu, je suis assez bon techniquement et capable d’éliminer un homme, mais je préfère casser les lignes avec mes passes « . – Marco Ilaimaharitra

Toujours désireux de réussir ses castings, Felice Mazzù a multiplié les apparitions sur le téléphone d’ Albert Cartier au début du mois de juillet. Le coach des Zèbres voulait tout savoir sur son futur milieu de terrain. Un secteur où les hommes doivent être choisis avec soin.  » Comme dit le coach, le milieu est le moteur de l’équipe « , explique Ilaimaharitra.  » C’est à nous de donner le rythme.  »

Difficile de savoir à quel moment de la vie de Marco commence le récit conté par Albert Cartier. Le nôtre voyage jusqu’au milieu des années nonante, pour atterrir aux Coteaux, un quartier poliment qualifié de  » sensible  » dans les rues de Mulhouse. C’est là, à cet endroit où la France tutoie la Suisse et l’Allemagne, que la famille Ilaimaharitra a débarqué, quelques années avant la naissance de Marco, en provenance de Madagascar.

Son frère Roberto, de douze ans son aîné, refuse d’abord de s’acclimater, préférant le malgache au français sur les bancs de l’école, avant que le père impose la langue de Molière jusqu’à la table familiale.

C’EST DOUBS

Aux pieds des immeubles qui vont à la rencontre du ciel alsacien, un terrain de football sert de poumon vert à la jeunesse locale. Marco et ses yeux bleus compris. Bien malgré lui, pourtant. Plus intéressé par l’idée de trimbaler un ballon orange au bout de ses paumes, Ilaimaharitra arrive au stade Barina par dépit. C’est plutôt le ballon rond qui le choisit, un jour, aux alentours de son huitième anniversaire, quand il plante un quadruplé face au FC Mulhouse, la référence locale, et se retrouve sous le maillot du FCM dans la foulée.

Marco fait ses classes alsaciennes dans un rôle de milieu offensif qu’il épouse sans plus de passion que ses heures scolaires, mais opte finalement pour le football quand Eugène Battmann griffonne son nom sur un bout de papier. L’ancien coach du FC Mulhouse, au bout des nineties, est retourné travailler à Sochaux, 25 ans après avoir protégé les perches des Lionceaux. Détecteur de talents pour le compte du club du Doubs, il fait le forcing pour emmener Ilaimaharitra à l’ombre du stade Bonal.

Également convoité par Strasbourg et Auxerre, Marco fait le choix de la proximité : Sochaux n’est qu’à une cinquantaine de kilomètres des Coteaux, tandis que la feuille de route affiche 120 bornes jusqu’à Strasbourg, et explose à 370 pour rejoindre la ville chère à Guy Roux.  » En Alsace, à Mulhouse, on trouve toujours des joueurs « , explique Éric Hély, ancien coach de Sochaux, à Bon Bonal.  » Et même les stats de la DTN (direction technique nationale, ndlr) vont vous le dire : le plus fort taux de réussite, ce sont des gamins qui habitent à moins de cent kilomètres.  »

Installé dans une famille d’accueil, le Malgache fait alors la rencontre de Jean-Claude Hagenbach, qui en fait le milieu défensif qu’il restera jusqu’à aujourd’hui. Marco scolarise son football à l’école sochalienne, qu’il présente lui-même quand la presse alsacienne vient s’enquérir de son évolution :  » La philosophie de Sochaux, c’est un jeu en passes courtes, avec une ou deux touches de balle. C’est un style qui me correspond bien, car j’anticipe beaucoup et je vais vers l’avant.  »

UN LIONCEAU ET UN RENARD

Devenu international dans les classes d’âge françaises, où il côtoie Adrien Rabiot, Thomas Lemar ou encore Clément Lenglet, Marco fait le grand saut vers la Ligue 1 au bout de l’année 2013. Débarqué dans le Doubs pour mener une opération maintien qui échouera finalement au bout du suspense, Hervé Renard place Ilaimaharitra dans sa première sélection, avant de l’installer dans son onze pour se rendre à Nice, dans une Allianz Riviera flambant neuve.

Le Brugeois Jordy Clasie ne peut que s'incliner devant Marco Ilaimaharitra.
Le Brugeois Jordy Clasie ne peut que s’incliner devant Marco Ilaimaharitra.© BELGAIMAGE

 » Moi, je vais vers la qualité, qu’on soit jeune, ancien ou sans expérience « , justifie le sorcier blanc, aujourd’hui sélectionneur du Maroc.  » J’utilise Marco pour équilibrer notre milieu, c’est celui qui a les meilleures qualités pour le faire. Il a une grosse activité, il joue vers l’avant, il est rigoureux dans les duels… C’est un garçon qui ira, je pense, assez loin.  » Marco signe son premier contrat pro. Déjà, il pose avec une tenue militaire, celle qu’il arbore presque systématiquement à la ville.

Le voyage avec Renard ne dure pourtant que quelques matches. À la fin du mois de janvier, Sochaux se déplace à Ajaccio. Guillermo Ochoa et sa bande sont mal en point, bons derniers avec une seule victoire à leur actif depuis le coup d’envoi de la saison. Les Lionceaux ne peuvent pas repartir bredouilles. Après huit minutes de jeu, Marco perd un ballon plein axe, au bout d’un contrôle trop long. Cinq passes et treize secondes plus tard, Benjamin André fait rêver le stade François Coty en plaçant les Corses aux commandes. Ilaimaharitra écope d’une soufflante et d’un remplacement. Sochaux égalise dans les derniers instants, mais le onze s’écrira désormais sans Marco.

Son retour s’effectue en Ligue 2, sous les ordres d’un Olivier Echouafni qui tombe sous le charme des atouts de toujours du Malgache :  » Marco a cette qualité de ne jamais être battu. C’est un joueur très puissant, capable d’aller chercher en permanence l’adversaire.  »  » C’est un milieu moderne « , abonde Albert Cartier, son dernier coach sochalien, dans la DH.  » Il lit bien le jeu, il est fort dans l’impact et capable d’aller au pressing. En plus, il a aussi cette capacité de percuter, avec ou sans ballon. C’est un vrai box-to-box.  »

CHEVILLE ET CHARLEROI

Ce profil, arrivé aux oreilles de Felice Mazzù par la voix de Cartier, débarque donc à Charleroi via Mierlo. Moins de 24 heures après son arrivée au stage estival des Zèbres, Marco fait un mauvais mouvement pendant un exercice de possession drivé par Mario Notaro, et reçoit le verdict à son arrivée en Belgique : ligaments distendus, début de saison postposé.

Le choc est d’autant plus important qu’il s’accompagne de la découverte de la ville de Charleroi, toujours déroutante pour un nouveau venu, même quand son écosystème précédent était bardé d’usines Peugeot.  » Quand j’ai vu la ville pour la première fois, je me suis demandé ce que je faisais ici « , rigole le Malgache. Jean-Charles Castelletto, ancien équipier en sélection française passé par Bruges et Mouscron, avait pourtant averti Marco. Mais Charleroi, il faut la voir pour y croire.

En quête d’une maison dans les environs de Waterloo, Ilaimaharitra séjourne longtemps à l’hôtel, en compagnie d’un Dodi Lukebakio qui lui fait découvrir Bruxelles à la moindre occasion. Même les débuts de Marco garderont un goût bruxellois, puisque ses premières minutes coïncident avec une titularisation pour la venue d’Anderlecht au Mambour. Victoire, et passe décisive pour Amara Baby sur le but d’ouverture. Le tout avec les félicitations, par SMS, d’Albert Cartier après la rencontre.

L’installation est progressive. D’abord associé à Cristophe Diandy, guide précieux pour le placement du Malgache, Marco fait ensuite la paire avec Gaëtan Hendrickx, pour un duo inattendu qui vient à bout des géants de l’Antwerp au Bosuil, et lance l’incroyable série de Charleroi avant la trêve hivernale, qui installe confortablement les Zèbres à la deuxième place. Plus personne ne lui parle alors de Damien Marcq. Pourtant, Mehdi Bayat avait lui-même amené le nom de son routinier français sur la table dès ses premiers entretiens avec Ilaimaharitra.  » Il m’a dit que je devais remplacer quelqu’un qui était important pour les supporters et pour le club.  »

DE MARCQ À MARCO

 » Quand tu perds un joueur du profil de Damien, c’est sûr que tu dois opter pour une animation un peu différente « , concède Felice Mazzù, attablé dans la salle de réception transformée, en semaine, en restaurant pour le groupe carolo.  » Marco a apporté autre chose, dans un autre style.  »

Un style que l’intéressé définit lui-même, dès ses premiers mots zébrés :  » Je suis un médian relayeur, j’aime participer aux actions défensives, mais aussi offensives. J’ai un bon volume de jeu, je suis assez bon techniquement et capable d’éliminer un homme, mais je préfère casser les lignes avec mes passes.  »

Agressif et vertical, Marco a donné un nouveau visage au Sporting carolo. Son dynamisme, associé aux kilomètres avalés par Hendrickx, permet à Charleroi de récupérer le ballon plus près du but adverse, et la qualité de son pied droit transforme souvent ces transitions en situations dangereuses. Là où Marcq était avant tout un homme de bloc bas, Marco brille en transition, dans un style qui a rendu Charleroi spectaculaire au moment où Kaveh Rezaei et Cristian Benavente transformaient toutes leurs occasions en or. Depuis la blessure de Marco, Charleroi a reculé, inconsciemment. Sur le terrain et au classement. Son retour au volant devrait permettre de réenclencher la marche avant.

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