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« Malines est le reflet de la société »

Le scandale de match-fixing a heurté Malines de plein fouet mais sa légion ne baisse pas les bras. « Trop de gens s’impliquent dans le club pour qu’on le laisse tomber. »

Bertrand Peeters (45 ans) n’a pas peur des grands mots :  » Tout le monde se souvient du 11 septembre, moi je me rappellerai toujours l’opération Mains Propres.  » Peeters est président de Malinwa Archief, qui collecte les documents et objets marquant l’histoire de Malines. Il est steward à Brussels Airlines.

 » Le 10 octobre, j’ai décollé de Bruxelles pour arriver le soir à Abidjan, où j’ai croisé l’équipage prévu pour le retour. L’un d’eux m’a dit qu’il s’était passé quelque chose dans le football belge. Le commandant, un fan du Standard, a crié : – Et Malines est vraiment dedans. Si je dois me rappeler dix faits importants de ma vie, sur mon lit de mort, ce scandale en fera partie.  »

Le parquet soupçonne Malines et le manager Dejan Veljkovic de constructions financières louches et de corruption en fin de saison. Trois dirigeants des Sang et Or ont été inculpés : l’actionnaire principal Olivier Somers, le directeur sportif Stefaan Vanroy et le directeur financier Thierry Steemans.

 » Ça a fait l’effet d’une bombe alors que nous avions déjà senti venir la faillite en 2002.  » Il y a seize ans, les supporters ont aidé le Malinwa à se sauver. C’est leur enfant. Cette crise est ancrée dans leur mémoire. C’est pour ça qu’ils défendent maintenant leur club avec tant de vigueur.

Peeters, fils de Jan, l’ancien président de l’UB, supporte alors Malines depuis vingt ans, en 2002.  » Ce qui m’a fasciné, c’est moins le contexte de l’époque que l’aspect social, le stade, le show.  »

Kevin Smedts (32 ans) est aussi un supporter de la première heure.  » Mes parents avaient un grand drapeau belge. J’ai découpé la bande noire, attaché l’autre partie à un bâton et suis parti supporter le club en bus. Des adultes qui connaissaient mon père étaient présents. Ils ont veillé sur moi. Cette solidarité est typique de Malines.  »

Kevin Smedts:
Kevin Smedts: »Plus le club est dans la merde, plus les fans se mobilisent. C’est ça, la magie du Kavé. »© KOEN BAUTERS

Corneel Van der Poel (82 ans) fait partie des anciens qui ont pris soin de Kevin en 2000. Une fois retraité, il s’est mis bénévolement au service du club qu’il soutenait depuis ses dix ans.  » Ma femme était décédée et mes enfants avaient quitté le nid.  » Il s’est engagé au moment où sa mauvaise gestion avait endetté le club.

Casse-croûte dans la tribune en semaine

La cantine de la tribune principale était fermée depuis des mois. Avec deux autres supporters, Van der Poel l’a rouverte en septembre 2002.  » Nous avons passé trois semaines à la nettoyer. Ensuite, Steven Tuyls s’est chargé du personnel, John Begois des contacts avec la brasserie et moi de l’aspect financier. Ça a très bien marché.  »

Malheureusement, fin 2002, le club est au plus mal. Peeters travaille dans un garage Peugeot, non loin du stade.  » Il y avait toujours quelque chose à voir. J’avais une heure de pause à midi et je venais manger mes tartines dans la tribune. Je n’étais pas le seul. Il y avait une large bande d’asphalte derrière la tribune principale et les supporters passaient en voiture avant de rebrousser chemin, juste pour être en contact avec le Kavé.  »

La spirale négative de Malines ne les décourage pas. Smedts :  » Pendant trois semaines, je me suis privé de friandises et je ne suis pas sorti, pour pouvoir acheter un billet pour le match à Genk. Nous avons été battus 9-0 mais ce n’était pas grave : nous étions toujours en vie.  »

Le 7 décembre 2002, les joueurs sont limogés. Smedts :  » Mais ce club ne pouvait pas mourir.  » Premier souci : achever la saison. Le curateur Joan Dubaere ne peut laisser la dette croître. Même une équipe de rechange coûte. Le nombre de billets écoulés est donc crucial.

Un vent favorable apporte à Dubaere un chèque à utiliser au cas où tous les frais ne seraient pas couverts. Van der Poel :  » C’était contre l’Antwerp. Nous avions commandé trente tonneaux de bière. Ils étaient vides à la mi-temps. Nous avons dû en recommander de toute urgence. Le lendemain, j’ai apporté une fameuse enveloppe à Dubaere.  » Malines a pu achever la saison.

1000 euros par tête de pipe pour sauver le club

Il faut encore plus d’argent pour entamer la saison suivante. Mark Uytterhoeven, une personnalité médiatique en Flandre, lance une action, avec l’ancien joueur Piet den Boer et Fi Vanhoof, le manager. Ils demandent à chaque supporter de verser mille euros pour sauver le matricule du club.

Peeters :  » Je me suis exécuté. Je n’avais pas encore beaucoup d’économies mais imaginez que le club soit sauvé et que je n’en fasse pas partie ! Il y avait aussi une ligne téléphonique. À chaque coup de fil, de l’argent revenait à l’action. Je travaillais toujours chez Peugeot et je passais quinze coups de fil par jour de mon travail !  »

Van der Poel donne aussi de l’argent.  » Plus de mille euros mais je ne dirai pas combien. Mes enfants ne doivent pas le savoir.  » Pour certains, la donation pèse lourd.  » Certains m’ont dit qu’ils avaient versé mille euros mais que c’était leur salaire mensuel.  »

Corneel Van der Poel:
Corneel Van der Poel: « Je ne dis pas combien j’ai versé au club pour le sauver. Mes enfants ne doivent pas le savoir. »© KOEN BAUTERS

Smedts, alors âgé de seize ans, n’est pas fortuné non plus.  » Avec mes copains, j’ai fait du porte-à-porte. Il faisait très froid mais nous étions en route du matin au soir. Parfois, on nous traitait de naïfs. Le titulaire de ma classe m’a reproché de m’intéresser davantage au football qu’à mes études mais mon père a répondu qu’il trouvait bien qu’un adolescent s’implique dans sa passion.  »

Les étudiants atteignent leur objectif : ils récoltent 1.022 euros en pièces.

Fin février 2003, les supporters ont récolté 660.000 euros mais la somme ne suffit pas à rembourser les dettes fédérales, la condition sine qua non à la reprise du matricule. Il n’y a qu’une issue : que les créanciers, parmi lesquels les anciens joueurs, acceptent de ne prendre aucune initiative.

Pas question que l’équipe joue sans supporters

Pendant le conclave, Van der Poel tient la caisse de la cantine, noire de monde. Franky De Vroe, un ouvrier du club qui sert la bière, reçoit un appel. Le joueur Steven De Pauw lui annonce qu’il y a un accord. Van der Poel rit :  » De joie, Franky a sauté sur le comptoir et s’est accroché à un spot, qu’il a arraché du plafond. Quel moment !  »

Smedts ne pense plus qu’au Kavé. Il fonde le Malinwa Catholics, un groupe de quinze personnes qui met de l’ambiance.  » Malines a mis une pièce à notre disposition. Nous y avons installé une TV, un frigo et des fauteuils. C’est devenu une maison de jeunes. En été, nous faisions des barbecues sur le parking.

Après une réunion, le président Johan Timmermans s’est dirigé vers nous : -Vous fermez ? Nous avions les clefs de la porte. Nous vivions ici. Nous ne faisions rien de mal. Nous aimions tellement notre club que nous n’aurions même pas imaginé uriner contre le mur.  »

La clique n’a pas raté un seul match.  » Un match amical à Bergame ? Nous prenions un vol Ryanair. Malines jouait au Luxembourg avec une demi-équipe B un jeudi ? Nous louions un car. Nous ne voulions pas que le club joue sans supporters.  »

En 2017, Smedts devient le papa de jumeaux. Il reste fidèle à Malines mais avec moins de fanatisme. Une nouvelle génération assure l’ambiance. Toutefois, le 11 octobre dernier, quand le parquet accuse Malines de falsification du championnat, la compagne de Smedts comprend la gravité de la situation.

Elle lui avait demandé de garder les enfants, ayant un rendez-vous, mais elle téléphone à Smedts.  » Elle m’a annoncé qu’elle avait demandé à sa mère de passer, pour que je puisse m’occuper de Malines. Nous avons envoyé un message sur Facebook : – Ce soir, 19 h, KV. 700 personnes sont venues alors qu’elles ne pouvaient rien faire.  »

Château gonflable et marchand de hamburgers

 » J’ai revu des personnes que je n’avais plus vues depuis des années, parce qu’elles étaient devenues moins fanatiques ou avaient déménagé  » poursuit Smedts.  » Mais quand Malines est dans la merde, tout le monde est là. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés en pensant que tout va s’arranger.

Nous avons fait venir un château gonflable et un marchand de hamburgers le dimanche. Le match était annulé mais nous nous sommes installés dans la tribune. Nous avons parlé. C’était en quelque sorte une thérapie de groupe.  »

 » Les problèmes viennent de la lutte pour le maintien de la saison passée « , intervient Peeters.  » Elle est due à plusieurs facteurs. Par exemple, le club a engagé trop de joueurs en décembre et en janvier.  »

Au Standard, l’avant-dernière journée, il y a cette phase-clef. Alors que Malines mène 1-2, Luis Pedro Cavanda fauche Hassane Bandé, l’avant de Malines, près du rectangle du Standard.

 » L’arbitre, Erik Lambrechts, n’a pas bronché « , s’indigne Van der Poel.  » Le Standard a ensuite égalisé et l’arbitre a sifflé un penalty discutable contre nous. Il fallait que le Standard dispute les PO1, hein !  »

Smedts :  » La semaine suivante, c’était Eupen-Mouscron. Toute la Belgique savait que ce match ne se déroulerait pas honnêtement. Il est possible que quelques dirigeants malinois aient paniqué. Je ne leur en veux pas. Si, cette semaine-là, Veljkovic m’avait dit : – Si tu veux, je m’arrange pour que Beveren n’y aille pas à fond, j’aurais répondu oui.  »

Van der Poel :  » Notre club s’est toujours bien entendu avec Waasland-Beveren.  » Peeters :  » Il n’est quand même pas anormal, dans un moment pareil, de rappeler à Waasland ce qu’on a fait pour lui il y a trois ans ? (En 2015, Waasland-Beveren a échappé aux PO3 suite à la victoire 2-3 de Malines contre le Cercle Bruges, ndlr). Une dernière journée n’est jamais vraiment propre.  »

Malines comme fil rouge

Lors du dernier match, Malines mènes 2-0 contre Waasland-Beveren mais Eupen commence à marquer contre Mouscron. Smedts :  » À 3-0, j’ai quitté la tribune. J’étais furieux.  » Malines gagne 2-0, Eupen 4-0 et le Malinois est relégué. Smedts :  » La chanson du club comporte une strophe : le club des idéaux, que doit respecter le football. Pour moi, ce serait très grave si des gens avaient été approchés et payés avec l’argent du club.

Si ça s’est produit, nous méritons une sanction. Mais si Veljkovic est honnête, il peut citer beaucoup de clubs. Soit il faut les rétrograder tous, soit il faut sanctionner ces gens personnellement. Je ne veux pas qu’on s’en prenne seulement aux petits.  »

Smedts accorde le bénéfice du doute aux dirigeants malinois.  » Steemans et Timmermans le méritent. Ils se sont impliqués dans le sauvetage du club.  » Van der Poel :  » Qu’a fait Somers ? Blanchi de l’argent ? S’il faut arrêter tous ceux qui l’ont fait en Belgique, il ne restera plus grand monde en liberté.  » Smedts :  » Si on plaçait tous les dirigeants de clubs sur écoute, toute la Belgique serait en taule.  »

Smedts :  » Je ne peux expliquer rationnellement le temps et l’argent investis dans Malines. Je me dis parfois que je ferais mieux d’arrêter car ce milieu est malsain. Mais comme Bertrand, je ne m’arrête pas au seul football. Sinon, je prendrais un abonnement à Anderlecht ou je regarderais Barcelone-Real à la TV. Mais ça ne m’intéresse pas. Ne me demandez pas non plus qui est en tête en D1A. Ce qui m’intéresse, c’est le club de Malines. C’est mon fil rouge. C’est là que sont mes meilleurs amis. Des couples s’y sont formés et ont des enfants. Nous sommes des centaines.  »

Smedts vient de déménager.  » Dix personnes, des amis du Kavé, sont venus m’aider. Elles auraient été cent si je l’avais voulu. C’est comme ça : nous nous entraidons.  » Van der Poel opine.  » Il y a quelques semaines, le volet de ma cuisine s’est cassé. J’ai téléphoné à Eric, un menuisier dont j’ai fait la connaissance au club. Quelques jours plus tard, le volet était remplacé.  »

Encore plus fanatiques quand ça va mal

Smedts :  » Tant de gens sont attachés à Malines que je n’ai jamais craint qu’il disparaisse. Peu m’importe que nous jouions contre Anderlecht ou Londerzeel. Ou contre Hombeek en quatrième provinciale. Ça sera peut-être même plus marrant car seuls les fous comme nous viendront aux matches. Nous sommes encore plus fanatiques quand ça va mal.  » Peeters :  » Nous nous rebellons. C’est nous contre les autres.  »

Fin connaisseur de l’histoire du club, Peeters de conclure :  » Ce n’est pas un club-champagne. Il a été ruiné en D2 dans les années ’70 mais ensuite, il a remporté la coupe d’Europe, puis il est tombé en faillite, il est revenu et le revoilà plongé dans les problèmes. Le FC Malines reflète la vraie vie. Elle n’est pas toujours belle ni faite de succès.

Le Kavé a formé ma personnalité. Nulle part ailleurs je n’ai vu de gens travailler ensemble en espérant une issue favorable comme lors de la faillite, alors que ces gens n’étaient pas aisés. Nos parents nous répètent que la vie est faite de hauts et de bas mais c’est ici que j’ai compris comment me battre. Nous allons encore le montrer : nous sommes le FC Malines et nous n’allons pas nous laisser faire.  »

Krystof De Ryck

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