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Les secrets du Mogipoly

Thomas Bricmont

Au coeur de la tempête, le système Mogi Bayat avait déjà fait l’objet d’une enquête approfondie de Sport/Foot Magazine en janvier 2017. Voici ce que nous écrivions à l’époque sur le « système B ».

Les secrets du Mogipoly
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Samedi 13 août, Stade du Pays de Charleroi. Le championnat n’en est qu’à son tour de chauffe lors de cette 3e journée où Zèbres et Buffalos enchantent les près de 8.000 supporters. Peu avant 20 h, l’arbitre, Jonathan Lardot met un terme à la rencontre sur un score de parité (1-1) aux allures de partage de frères. Car entre Charleroi et Gand, l’entente cordiale n’est pas un vain mot. Après avoir attiré précédemment Danijel Milicevic et Kalifa Coulibaly, le champion de Belgique 2015 vient de s’offrir, cet été, les services de Dieumerci Ndongala et de Jérémy Perbet (propriété du club turc d’Istanbul Basaksehir). Au coeur de tous ces deals, l’inévitable, Mogi Bayat, frère du boss carolo, Mehdi Bayat, et proche du directeur général gantois, Michel Louwagie mais aussi de Patrick Turcq, ex-directeur technique de Courtrai parachuté dans les mêmes fonctions à Gand.

Une arrivée qui est venue renforcer encore un peu plus l’influence de l’agent Bayat sur un club dont il maîtrise la destinée de nombreux joueurs mais aussi du coach, Hein Vanhaezebrouck. Peu après la rencontre, et comme le veut la tradition, les deux directions se retrouvent (seul le président gantois, Ivan De Witte, n’est pas du voyage) dans le salon présidentiel du Mambour autour d’un repas self-service entre « amis » et sans chichis. Mogi Bayat est évidemment invité au menu. Il est même au centre des débats. Car en cette période de l’année, il fait la pluie et le beau temps. Et à un peu plus deux semaines de la fermeture du marché estival, l’aîné des frères Bayat annonce « que ça va s’activer très prochainement. » Dont acte.

Alors qu’il a déjà placé plusieurs pions majeurs (Christian Kabasele à Watford, Thibault Moulin au Legia Varsovie, Ndongala et Perbet à Gand, Dennis Appiah à Anderlecht, etc), Mogi cache encore de nombreuses cartes dans son jeu. Car dans les derniers jours du mercato, il rafle la mise. Sven Kums (de Gand à Watford puis prêté à Udinese), Stefano Okaka (d’Anderlecht à Watford), Noé Dussenne (de Mouscron à Crotone), Neeskens Kebano (de Genk à Fulham), Uros Spajic (de Toulouse à Andelrecht), Hamdi Harbaoui (de l’Udinese à Anderlecht) et Massimo Bruno (de Leipzig à Anderlecht) sont autant de transferts qui portent sa griffe. Sur ce mercato estival 2016, Mogi Bayat aura placé 20 joueurs, un ratio énorme quand les agents « lambda » se contentent de 2 à 3 transactions durant le même laps de temps.

Mogi Bayat aime les photos avec ses poulains. Avec Massimo Bruno lors du titre d'Anderlecht.
Mogi Bayat aime les photos avec ses poulains. Avec Massimo Bruno lors du titre d’Anderlecht.© BelgaImage

La presse, elle, relaye les photos de présentation des joueurs sur lesquelles Bayat s’invite tout sourire. Et pour ceux qui les auraient ratées, son compte twitter personnel est là pour faire sa publicité. Car Mogi Bayat veut être vu. Et peu importe s’il concède de nombreux centimètres à ses acolytes, le Joe Dalton des agents veut prouver que c’est lui et lui seul qui détient les clefs du foot business en Belgique.

Alors que certains collègues battent le pavé depuis une décennie voir plus sans connaître le même succès, l’ascension de Mogi Bayat n’aura pris que quelques années Alors comment expliquer cette omniprésence sur le terrain des transferts ? Pourquoi certains clubs belges semblent en être dépendants ? Enquête au coeur du système Bayat.

CONNAÎTRE L’ENVERS DU DÉCOR

Mis à part les plus grandes stars qui rapportent très gros à leur conseiller, l’image de l’agent de joueur s’investissant corps et âme pour son protégé a pris du plomb dans l’aile. Aujourd’hui, dans un foot fortement globalisé, les transactions se sont compliquées et se réalisent généralement à plusieurs. Et si l’on veut frapper à la bonne porte, mieux vaut connaître les bonnes personnes. Là réside l’un des principaux atouts de Mogi Bayat. Car avant que son oncle ne le congédie de son poste de manager général du Sporting de Charleroi en octobre 2010, Mogi a tissé pendant sept ans sa toile au sein du football belge, le temps de réseauter, de décrypter le business en place et de fraterniser avec les décisionnaires, ceux qu’il faut arriver à contenter pour parvenir à ses fins.

À l'occasion du transfert de Jérémy Perbet à Gand.
À l’occasion du transfert de Jérémy Perbet à Gand.© BelgaImage

En étant longtemps positionné dans le camp d’en face, Bayat s’est frotté quasi quotidiennement aux agents, assimilant le mode de fonctionnement et les règles d’un milieu souvent conflictuel. Un écolage privilégié qui lui a permis de gagner du temps, beaucoup de temps par rapport à la concurrence.

« Grâce à mon travail à Charleroi, j’ai appris à connaître le marché belge, et j’ai constitué un vaste réseau », reconnaissait d’ailleurs l’intéressé dans une interview accordée à l’Echo en septembre dernier. « J’ai la chance d’avoir travaillé dans un club, et d’avoir siégé au Conseil d’administration de la Pro League. Je me suis occupé de droits de retransmission TV et de sponsoring. C’est ma chance : je connais beaucoup de monde en Belgique et à l’étranger. »

LA BASE DU SYSTÈME

Mogi Bayat aime les photos avec ses poulains. Avec Stefano Okaka et Sven Kums pour leur passage à Watford.
Mogi Bayat aime les photos avec ses poulains. Avec Stefano Okaka et Sven Kums pour leur passage à Watford.© BelgaImage

En Belgique, Bayat a eu l’intelligence ou la malice, c’est selon, de se lier d’amitié avec Herman Van Holsbeeck, Michel Louwagie, ou l’ex-directeur général de Genk, Dirk Degraen, à qui la trop grande proximité avec Bayat a finalement coûté cher. Le système Bayat prend sa source autant auprès du club qu’auprès de la matière première, le joueur. Ce qui donne lieu parfois à des scènes déconcertantes comme à Courtrai où lors d’un conflit entre « son » joueur et la direction, il finit par prendre la défense de la partie adverse. « Mogi essayait de faire comprendre à celui qu’il était censé défendre qu’il devait accepter une diminution de 40 % de son salaire. Il était le seul à prendre la parole pour la partie courtraisienne, d’ailleurs. », nous explique un membre du syndicat des joueurs, Sporta.

Ce modèle d’agent « de club », Mogi Bayat l’avait en quelque sorte testé du temps où il était encore directeur général des Zèbres. A cette époque, tout ou presque au rayon départs et arrivées passait par l’agent Didier Frenay, alors partenaire privilégié de Charleroi. Mogi Bayat expliquait d’ailleurs dans la DH avoir « compris ce qui échappe encore à beaucoup de gens. C’est-à-dire qu’il faut dans un transfert que les trois parties s’en sortent gagnantes : le club acheteur, le club vendeur et le joueur. »

Charleroi (avec David Pollet et Kalifa Coulibaly) : des interlocuteurs privilégiés de Bayat.
Charleroi (avec David Pollet et Kalifa Coulibaly) : des interlocuteurs privilégiés de Bayat.© BelgaImage

« Certains directeurs de club touchent un pourcentage sur la revente des joueurs », nous explique un agent bien implanté en Belgique. « C’est même une grande partie de leur rémunération. Ça les incite donc à travailler avec des agents qui vont leur rapporter beaucoup d’argent, surtout si ceux-ci leur cèdent une partie de la commission. » Ce qu’on appelle dans le milieu une rétro-commission et qui est pourtant formellement interdit.

« PAS UN TRANSFERT SANS QU’IL NE SOIT PRÉSENT »

A contrario, Mogi Bayat, toujours dans l’Echo, se gargarise d’avoir fait « rentrer entre 90 et 110 millions d’euros dans les caisses des clubs belges. Ils s’y retrouvent largement, moi aussi et il est donc normal que l’on bosse ensemble. Si je ne leur rapportais que des cacahuètes, je ne serais plus dans le circuit. C’est juste une règle économique, rien d’affectif. »

A Charleroi, le cas est toutefois différent. Selon certains, il serait l’investisseur caché, le vrai patron. « Du pur fantasme », rétorque Mehdi Bayat. Par contre, pas question de marcher sur ses plates-bandes. A Charleroi, les autres agents font long feu et perdent leur joueur. Au mieux, l’agent doit accepter de partager la commission en cas d’entrée comme en cas de sortie du joueur.

Damien Marcq, qui a débarqué à Charleroi accompagné d’un agent français, reconnaît d’ailleurs « qu’il n’y a pas un transfert qui est réalisé sans qu’il ne soit présent, même si son nom n’apparaît pas officiellement. Pour un club comme Charleroi, c’est bien d’avoir un agent qui peut amener de bons joueurs. Quand tu lis que Lassana Diarra a failli signer à Charleroi, c’est assez dingue. Même si ça ne m’étonne pas des Bayat, car ils sont capables d’un coup énorme. Ils ont du culot, du bagout, ils peuvent vendre n’importe quoi à n’importe qui. »

BLUFF, RECONNAISSANCE ET MENACES

« Sa grande force, c’est que c’est un excellent manipulateur », avance un agent concurrent dont la force de frappe dépasse le cadre de la Belgique. « D’un côté, il donne l’impression au club qu’il est indispensable en leur racontant qu’il contrôle l’agent du joueur. Quant aux joueurs, il va leur dire que dans tel club, il fait la loi. Avec Mogi, c’est du bluff continuellement. Et il est très fort pour ça. Il a aussi un besoin de reconnaissance, c’est évident. Son modèle s’est construit en fonction de ça. Il veut être sur toutes les photos, dans tous les journaux. Dans le cas du transfert de Marko Marin, par exemple, il s’est affiché avec le joueur lors de sa présentation alors qu’il n’est pas son agent et que son rôle fut quasi nul dans ce transfert. Mais il estime que plus il est présent, plus le sentiment qu’il est indispensable augmente aux yeux des autres. »

Anderlecht (avec Hamdi Harbaoui) : des interlocuteurs privilégiés de Bayat.
Anderlecht (avec Hamdi Harbaoui) : des interlocuteurs privilégiés de Bayat.© BelgaImage

Un système qui semble en tout cas prendre auprès des joueurs. « C’est vrai que les joueurs savent que ça sera plus facile de réaliser un beau transfert avec lui », explique Dieumerci Ndongala qui assure ne pas avoir été poussé dans les bras de Mogi Bayat alors qu’il était pourtant arrivé accompagné d’un autre agent lors de son passage de La Louvière à Charleroi. « Beaucoup de gens le critiquent mais beaucoup de gens le jalousent. » Christian Kabasele, qui a bénéficié de ses services lors de son passage d’Eupen (alors en D2) à Genk et cet été lors de son transfert à Watford, est un ardent défenseur du système B : « Les bobards qu’on raconte viennent d’agents qui sont jaloux de son succès. Mettez-vous à leur place : Mogi est impliqué dans tous les grands transferts en Belgique et eux doivent se battre pour grappiller un peu de monnaie. J’imagine que ses détracteurs aimeraient récupérer une partie du marché. »

Le système Bayat trahit aussi un côté boulimique, parfois excessif. « Il a ce besoin de se mettre dans tous les coups. Même si le deal ne lui rapportera que 5.000 euros. Et il peut se montrer agressif si tu ne fais pas appel à lui. Il considère que tout ce qui arrive à Anderlecht et à Gand doit être à lui. »

Le succès dans les affaires lui est rapidement monté à la tête. Eternel roquet, Mogi Bayat s’est cru un temps tout permis dans un business difficilement régulé où tous les coups semblent permis. En janvier 2012, Mogi Bayat transfère seul le Français Rémi Maréval de Zulte Waregem à Gand et empoche la totalité de la commission. Seulement, les agents français de Maréval se sentent logiquement floués et passent aux menaces. Bayat, qui n’en est pourtant pas à son coup d’essai, se rend compte du sérieux des menaces et demande à son ami John Bico de jouer les conciliateurs. Bayat finira par reverser la commission.

LA FILIÈRE FRANÇAISE

Aujourd’hui Bayat semble moins aventureux et frondeur. Il a très vite compris, par contre, qu’il était préférable de bien s’entourer. Notamment sur le marché hexagonal dont il tirait déjà profit du temps où il était dirigeant de Charleroi.

« Quand on évoque son nom, ça ne sent pas l’air des Alpes (sic), mais il faut reconnaître qu’il a réussi à développer le créneau de joueurs sur une voie de garage en France et qui tentent de se relancer en Belgique », pointe un agent français très présent en Angleterre.

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Du temps où il officiait à Courtrai, Patrick Turcq a régulièrement bénéficié des filons français « Je connais Mogi depuis plus de dix ans », explique l’actuel directeur technique de Gand. « C’est le premier dirigeant d’un club de D1 qui m’a invité à le rencontrer alors que Courtrai était alors en D2. Depuis, on a souvent travaillé ensemble. Chez Mogi, tout est planifié, structuré, c’est ce qui lui permet d’aller très vite lors d’un transfert. Je me rappelle lui avoir demandé s’il pouvait nous sortir Kristof Van Hout. Le lendemain, j’avais sur mon bureau une offre de Genk. Mogi, quand il te parle d’un joueur, tu peux être sûr qu’il va te l’amener. C’est un conciliateur hors-normes, c’est même un don chez lui. »

Bruno Satin, agent français qui a débuté dans le métier il y a près de 30 ans, est peut-être celui qui le connaît le mieux. « J’ai rencontré Mogi quand il était encore dans les boissons (Mogi Bayat travaillait pour la société de son oncle Chaudfontaine, ndlr) et qu’il avait son bureau sur les Champs-Elysées à Paris. Il a toujours été un passionné de foot et je n’ai pas été surpris qu’il en fasse son métier », explique celui qui a pris part au transfert du jeune Paul Pogba lors de son premier passage à Manchester et qui a notamment travaillé avec Bayat lors du transfert de Kalidou Koulibaly de Metz à Genk, puis de Genk à Naples.

« Il a toujours un coup d’avance dans les transactions. Comme quand il avait préparé le dossier de sortie d’un joueur en anticipant le fait qu’il ne serait plus payé par son club. Il a pu, grâce à ce dossier juridique, placer le joueur directement dans un autre club. Ça fait longtemps que je suis dans l’activité et j’ai rarement vu ça. Il est vraiment brillant. Aujourd’hui, tous les agents français qui veulent mettre un joueur en Belgique savent qu’il faut passer par lui. »

LA MAISON POZZO

L’agent breton Laurent Schmitt, a lui aussi travaillé avec Bayat. Notamment lors des venues de David Pollet, Amara Baby ou Cédric Fauré à Charleroi, ou encore lors du transfert de Guillaume Gillet vers Bastia. « Ce n’est pas un agent de joueurs comme on l’entend, c’est quelqu’un qui fait des affaires, qui joue les intermédiaires, c’est un faiseur de deals. Et il est très malin pour mettre les bons joueurs aux bons endroits. Quand Pollet s’est retrouvé à Anderlecht le 31 janvier 2014, il a réussi à transférer Cédric Fauré en une heure. Et il est prêt à tout : quand il décide de réaliser un transfert, il peut t’appeler douze fois en cinq minutes. »

Mogi Bayat Bayat estime avoir fait
Mogi Bayat Bayat estime avoir fait « rentrer entre 90 et 110 millions dans les caisses des clubs belges ».© BELGA

« Il a une très grande connaissance des désidératas des clubs », poursuit Pierre Frelot , ex-directeur financier du PSG, devenu l’un des agents français les plus influents (Didier Drogba , Steve Mandanda, etc.) et dont le chiffre d’affaires annuel tourne autour des quatre millions d’euros. « Par exemple, quand Mogi amène Neeskens Kebano à Charleroi, il permet à tout le monde de s’y retrouver au bout du compte puisque le PSG a touché un gros pourcentage sur la revente. Désormais, son terrain de jeu ne se limite pas à la Belgique. Ces derniers temps, il a réalisé énormément de transactions à l’international. »

Notamment grâce aux liens noués avec la famille Pozzo, propriétaire de l’Udinese et de Watford, où Bayat a transféré Sven Kums, Stefano Okaka et Christian Kabasele cet été. « Dès que Pozzo a vu le phénomène en action, il lui a laissé les clefs de la maison », sourit Bruno Satin. Il n’y a donc pas qu’en Belgique que Mogi se sent chez lui.

Par Thomas Bricmont, en janvier 2017

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