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Alaphilippe, le d’Artagnan du cyclisme

Jusqu’il y a peu, le cyclisme n’avait qu’une super star : Peter Sagan. Julian Alaphilippe (26) commence à rejoindre le triple champion du monde en matière de popularité et de sens du spectacle. Surtout si dimanche, à Innsbruck, il succède au champion slovaque. Portrait.

Julian, le champion du monde en devenir

 » Il est taillé du même bois que moi « , s’est exclamé Bernard Hinault quand Julian Alaphilippe, à 22 ans, a terminé deuxième de la Flèche wallonne et de Liège-Bastogne-Liège, en 2015, chaque fois derrière l’invincible Alejandro Valverde, alors âgé de 35 ans.

Trois ans plus tard, au printemps 2018, le Français suscite la plus grosse surprise de la saison cycliste en prenant la mesure d’ El Imbatido, lauréat à quatre reprises au Mur de Huy. Pas parce que Valverde était plus lent que les éditions précédentes mais parce qu’Alaphilippe est monté encore plus vite, grâce à son arme fatale, son énorme explosivité en côte.

Grâce à cet atout, le coureur Quick-Step est qualifié de puncheur, de baroudeur, né pour exploser dans les côtes raides mais pas en haute montagne. Lors du récent Tour, il a pourtant démontré qu’il était capable de franchir avec succès les plus longs cols, mais pour le classement de la montagne, pas contre Geraint Thomas et Cie.

Alaphilippe n’avait pas encore pris conscience de ce don, comme en témoigne la double interview accordée en compagnie de Philippe Gilbert dans notre guide du cyclisme, début d’année 2018. Interrogé sur ses deux favoris au Mondial d’Innsbruck, celui-ci avait répondu sans hésiter :  » Nibali ou Julian.  »

Et son coéquipier de réagir :  » Mais non, avec 4.670 mètres de dénivelé, ce sera une épreuve pour grimpeurs.  » Ce à quoi Gilbert avait répliqué :  » Eh bien, tu es aussi un grimpeur, le coureur français le plus complet depuis Laurent Jalabert. Il faut juste que tu en prennes conscience.  »

Reste à voir s’il gagnera aussi le Tour, comme l’espère tout l’Hexagone depuis la dernière édition car Alaphilippe n’a pas le don de se concentrer pendant trois semaines. Il est toutefois conscient de pouvoir conquérir le maillot arc-en-ciel, ou il en rêve. Il le mentionne même sur son site personnel :  » champion (du monde) en devenir.  »

Ce rêve a failli se réaliser l’année dernière à Bergen. Il a démarré à deux reprises dans le dernier tour et il était manifestement le meilleur du peloton mais il n’a pu résister jusqu’à la ligne d’arrivée.  » Une erreur tactique, tu aurais dû m’attendre « , a dit Philippe Gilbert, auquel il a manqué quelques mètres dans l’ascension finale pour suivre Alaphilippe.

Le Français a balayé la remarque d’un geste :  » Je ne suis pas un sprinteur, je ne pouvais pas attendre.  » Il était quand même terriblement déçu. Depuis, il pense au Mondial d’Innsbruck. Il lui convient mieux que le circuit norvégien, grâce à son plus grand nombre de côtes, et notamment à la très raide ascension du Gramartboden, un double Mur de Huy à 8,8 kilomètres de l’arrivée, avant une descente ultra-rapide. Du pain bénit pour ce faucon pèlerin. Cette année, il n’attendra pas plus qu’en 2017.

Julian, le joueur

Patrick Lefevere, le manager de Quick-Step, l’a déjà dépeint comme un oiseau qui regarde constamment de tous côtés, tant il est hyperactif. C’est parfois malsain pour un coureur et Quick-Step essaie parfois de lui raboter les ailes.

Julian n’en papillonne pas moins depuis toujours. À neuf ans, il s’est rendu tout seul à vélo chez son cousin, à 50 kilomètres de chez lui. Sans parler de ses nombreuses sorties dans la campagne française, avec son frère Bryan, qui a trois ans de moins. Alaphilippe était aussi vivant en dehors du vélo. Un cauchemar pour ses enseignants : il cachait les bics de ses camarades de classe, écrivait  » je t’aime  » dans le cou de la fillette assise devant lui…

Julian a également suivi les traces de son père Jacques, qui a joué, avec son orchestre  » Jo Philippe « , en avant-programme d’un concert de Johnny Hallyday. À l’instinct, il a battu du tambour à en casser des dizaines de baguettes. La musique reste un dérivatif pour ce coureur incapable de se reposer.

À 26 ans, il n’a pas renoncé à ses frasques ni perdu de son énergie. Au point que certains coéquipiers ne veulent pas partager leur chambre avec lui, tant il bavarde jusqu’au soir. En fait, cinq ou six heures de sommeil lui suffisent. Si son camarade de chambre dort, il va se balader, comme ça lui est arrivé au Tour. On l’a vu se promener au centre de Pau après minuit, histoire de se distraire.

Ou alors, il envoie des messages WhatsApp à ses copains. À Sigfrid Eggers, le photographe de Quick-Step, par exemple, qui voit parfois apparaître d’étranges images sur sa caméra. Les oeuvres d’Alaphilippe, qui lui a piqué son outil de travail. C’est qu’il trouve la joie de vivre importante.  » J’aime rire et voir ceux qui m’entourent rire.  »

Dénué de complexes, Julian se moque bien qu’on le prenne pour un clown. Mark Cavendish, coéquipier du Français chez Omega Pharma-Quick-Step l’avait remarqué en 2015 :  » On voit que Julian ira loin. Pas seulement grâce à ses capacités physiques mais aussi par son attitude don’t-give-a-fuck. J’aime ça car je suis comme lui.  »

Philippe Gilbert se reconnaît également en Alaphilippe, surtout dans son style de course audacieux.  » J’étais comme lui dans mes jeunes années.  »

Mais le coureur Quick-Step ne peut pas se concentrer cinq ou six heures d’affilée.  » Beaucoup de coureurs sont concentrés à 300 % pendant toute la course mais moi, j’ai besoin de me changer les idées, de plaisanter, de bavarder, surtout au début.  »

Dans le passé, il se laissait emporter par son esprit offensif, souvent inefficace.  » J’étais un chien fou, trop nerveux « , a-t-il raconté pendant le Tour.  » Je comprends maintenant que j’ai besoin d’énergie dans la finale.  » La Flèche wallonne a été un tournant : il a canalisé ses forces physiques et mentales pour placer un démarrage irrésistible au Mur de Huy.

De même qu’au Tour, il a conservé son calme dans les moments-clefs et s’est ménagé dans certaines étapes afin de pouvoir frapper sur les tracés qu’il avait préalablement déterminés. Avec succès. À deux reprises.

Julian, le travailleur

Son père, Jacques, le décrit comme un rentre dedans : quelqu’un qui y va à fond, sans douter. Son fils confirme :  » Je m’accroche, j’en veux toujours plus.  » Il est conscient de ne pouvoir réaliser ses rêves qu’en travaillant d’arrache-pied. On lui a inculqué cette mentalité dès son plus jeune âge : on n’a rien pour rien dans la vie.

Parfois, il en veut trop et exagère. Comme en 2016, après une mononucléose qui le contraint à se ménager plusieurs mois. Dévoré par le besoin de refaire son retard, il s’astreint à une séance de 9 heures 40 minutes – 315 kilomètres. Son cousin et entraîneur Franck allège délibérément le programme d’Alaphilippe, sachant qu’il bouclera quand même plus de kilomètres que prévu, souvent à un rythme plus soutenu. Longtemps, il a refusé de mesurer son wattage, préférant s’entraîner à l’ancienne, à l’instinct.

Alaphilippe n’a pas besoin de cet engin pour se faire mal, en course et à l’entraînement. L’explosivité n’est pas sa seule qualité : il est aussi prêt à mourir dix fois. Comme au récent Tour. Dans la dernière étape de montagne, il s’est mêlé à une échappée précoce pour assurer son maillot à pois. Il y est parvenu en atteignant en tête le sommet du col d’Aspin mais ensuite, il a craqué sur les pentes du Tourmalet.

Puis, une petite voix lui a soufflé :  » Non, merde ! Ça ne s’arrête pas ici ! Écris une page d’histoire ! Accroche-toi !  » Malgré la douleur, ses jambes l’ont écouté. Alaphilippe s’est accroché et il a franchi le Tourmalet en premier.  » Un truc que je n’aurais jamais imaginé de toute ma vie. Magique ! « 

Julian, l’acrobate insouciant

Ses amis l’ont souvent souligné : avec son sens de l’équilibre et sa stabilité, Julian Alaphilippe aurait tout aussi bien pu devenir un grand gymnaste. Se balader sur les mains dans les couloirs d’un hôtel ? Faire une pirouette sur le toit de la voiture d’équipe, comme à Paris à l’issue du dernier Tour ? Un jeu d’enfant pour Juju.  » C’est idéal pour ménager mes jambes.  »

Le Français est aussi acrobatique à vélo. Rouler assis en amazone sur le cadre du vélo, sans tomber ? Se coucher à plat ventre sur la selle, un bras en avant ? Faire un wheelie en côte en remettant sa chaîne d’une main et en saluant le public de l’autre ? Rien de plus facile.

Le coureur Quick-Step réalisait déjà ses acrobaties dans le jardin où son père avait aménagé un parcours d’obstacles, terrain d’entraînement idéal pour le cyclocross, qu’il a pratiqué tout jeune, comme pour son sens du pilotage et sa technique de descente.

Son directeur d’équipe Tom Steels n’emmène même plus de VIP dans la voiture lors des contre-la-montre.  » L’insouciance de Julian dans les virages est si extrême qu’on en a le vertige. On se demande toujours si nos invités ne vont pas avoir la nausée… « 

Julian, l’acteur et l’équipier sympa:

La dernière victoire d’étape d’Alaphilippe, dans les Pyrénées, est tombée dans son escarcelle avec un brin de chance. Adam Yates avait une vingtaine de secondes d’avance dans la descente du Portillon, jusqu’à ce qu’il embrasse l’asphalte, permettant ainsi à Alaphilippe de le dépasser. Celui-ci a hésité.

Il a demandé s’il devait attendre Yates au directeur d’équipe Brian Holm, par fair-play. Holm lui a crié qu’il était fou.  » Tu crois ? « , a répondu Alaphilippe. Son patron a confirmé :  » Yes, I f*cking do !  » Sur ces entrefaites, le Français a filé à bloc vers la victoire.

Cette anecdote est éloquente : malgré son statut de chef de file, c’est tout sauf un égoïste. Il s’intègre donc parfaitement dans le Wolfpack de Quick-Step, car il peut aussi se sacrifier pour ses coéquipiers. Et quand ceux-ci travaillent toute la journée pour lui, comme à la Flèche, il les remercie mille fois avant de leur faire un coûteux cadeau. C’est que, a déclaré le Français :  » Je n’ai pas eu d’adolescence normale. Je trouve dans le cyclisme la camaraderie que les autres ont trouvée à l’école.  » Il s’érige en leader naturel, comme au Mondial 2017, quand tous les coureurs français se sont placés à son service.  » Ce que j’ai fait pour ça ? Rien du tout. Je suis resté moi-même, comme toujours.  »

Alaphilippe ne jouera jamais les fanfarons après un succès. Il préfère un clin d’oeil, comme après sa victoire dans la dernière Clasica San Sebastian. Il a dit :  » Mes bras m’ont fait mal.  » De quoi surprendre les journalistes.  » Comment ça ? « , disaient-ils. Et le coureur de raconter qu’il avait levé si souvent les bras cette année que le sang ne passait plus dans ses artères. Hilarité générale.

Son sens de l’humour renforce son aura de pop star, surtout en France. Ce rôle lui convient à merveille.  » Je suis un coureur et un acteur qui veut procurer du bonheur au public, car ça me rend heureux.  » Un showman. Pendant le Tour de Grande-Bretagne, au début de l’étape qui passait par la Forêt de Sherwood, il a enfilé un chapeau Robin des Bois. Et comme avant chaque étape, il est sorti plus tôt du bus pour délivrer des autographes aux nombreux supporters anglais agglomérés autour du car de Quick-Step.

Juju savoure pleinement cette attention, comme au dernier Tour. A Paris, il a gravi les marches du bus de l’équipe et a lancé le  » Viking Clap  » islandais devant des dizaines des supporters, en parfait animateur. La veille, dans les derniers hectomètres du contre-la-montre, il avait fait signe au public enthousiaste.

 » Si j’avais pu, je me serais arrêté pour les embrasser tous « , a rigolé Julian. Il avait déjà été ému quand un supporter marocain lui avait raconté être venu spécialement dans les Pyrénées pour rencontrer son idole.

Malgré sa modestie, Alaphilippe est bien un coq français. Qui attache beaucoup d’importance à son style de mousquetaire – ce n’est pas un hasard si on l’appelle le d’Artagnan du cyclisme- et à sa chevelure – une interview TV sans gel ? Jamais ! –

Il ne dédaigne pas non plus l’attention des demoiselles. Comme dans la Vuelta 2017. Michel Wuyts, le commentateur de la VRT, s’en souvient toujours : après une étape, il s’était attardé pour bavarder et flirter avec les trois miss podium.  » Il s’est ensuite isolé une dizaine de minutes avec la Française, qu’il connaissait manifestement mieux « , raconte Wuyts.  » Pour conclure : – Nous nous reverrons, n’oublie pas, hein. Puis il a rejoint son hôtel, avec 40 minutes de retard sur ses coéquipiers. José De Cauwer et moi nous sommes regardés : – Alaphilippe ne fera rien de bon dans cette Vuelta. Quelques jours plus tard, il gagnait une étape… Un phénomène.  »

Bientôt revêtu du maillot arc-en-ciel ?

Julian, le joueur: Le Français aime les frasques. À vélo ou non !
Julian, le joueur: Le Français aime les frasques. À vélo ou non !© BELGAIMAGE
Julian Alaphilippe : aussi acrobate que Peter Sagan sur sa bécane.
Julian Alaphilippe : aussi acrobate que Peter Sagan sur sa bécane.© BELGAIMAGE
Julian, le travailleur: Une de ses qualités : aller au bout de la souffrance.
Julian, le travailleur: Une de ses qualités : aller au bout de la souffrance.© BELGAIMAGE

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