GRAND STADE ? SANS FAÇONS !

Peut-être suis-je mauvais Belge, sans doute suis-je mauvais supporter, mais la nécessité d’un nouveau stade national ne me convainc pas. Tout ça afin d’être prêt pour quatre malheureux matches de l’EURO 2020 qui en comptera 51 : au moment où l’UEFA devient itinérante via 13 villes/pays d’accueil, au moment où cela permettra d’éviter qu’un seul pays ait claqué des millions pour des infrastructures sous-exploitées par la suite, voilà que nous, p’tits Belges, cherchons quand même à claquer nos pépettes pour cause de gloire footeuse hypothétique…

Je ne peux pas croire que cela ne coûtera rien aux pouvoirs publics, mon pied au feu qu’il ont même déjà lâché du fric avant que ça débute ! Coût de construction donc, 500 millions d’euros : pour satisfaire aux besoins d’un monde du foot où salaires et transferts dégoulinent pourtant de pognon ! Publifin a beau avoir en poupe le vent du scandale, de telles dépenses somptuaires à la gloire du ballon rond seraient choquantes tout autant. Bon, d’accord, ce sera moins déficitaire si Anderlecht est ensuite locataire, mais ça sentira la chouchouterie : les rivaux rageront, d’une rage compréhensible. Et entre nous, ça coûterait encore moins cher si, demain, les Diables jouaient alternativement leurs matches à Anderlecht, à Bruges, à Sclessin, à Gand, à Charleroi, à Genk… Posséder un stade national n’est pas obligatoire pour recevoir à domicile et y être transcendés.

Sans oublier qu’existe déjà un Stade Roi Baudouin ! On dit que le mettre aux normes FIFA coûterait tout aussi cher que construire l’autre …mollo, faut pas délirer : ce stade n’est pas un bijou d’archi contemporaine, ce n’est pas un taudis non plus. Stoppons ce terrorisme de pacotille, consistant à brandir l’épouvantail des normes FIFA : à croire qu’elles sont toutes liées à la sécurité et que nous serions criminels de les négliger ! Mais elles sont pour une bonne part liées au business (VIP, espaces commerciaux), et dépendent du nombre de places envisagées …60.000 selon le désir de nos mégalos de service. Wow, Bijou, calme, 45.000 comme maintenant, c’est plus qu’assez ! Et si ça n’agrée pas les instances internationales, ayons le toupet de décliner pareils événements : ne pas succomber aux sirènes d’un grand stade, ce serait notre grandeur de petit pays. Aimer le foot et ses Diables, mais pas à n’importe quel prix. Prestige et fierté, ça peut se traduire autrement que par des briques et du béton.

Rapport aux bénéfices économiques durant l’événement, ainsi qu’après lui par la grâce d’infrastructures flambant neuves, l’histoire des mega-events est plutôt désenchanteresse : sous-estimation des coûts, puis surestimation des retombées, et voilà tous ces sites de JO et Mondiaux passés qui sentent l’éléphant mort dont on ne sait quoi faire. Rob Baade, un chercheur US, a comparé les profils économiques des villes avec ou sans grand stade … pour ne déceler aucune différence (*).

Une chose est vraie : le coup du pain et des jeux est intemporel et y’a pas de mal à ça : tant mieux si les grands événements sportifs fourguent plaisir, voire bonheur, à ceux qui les suivent. MAIS, avec l’omniprésence de la télévision, la présence physique au stade n’est plus condition sine qua non pour ce plaisir-là ! La fraternité chauvino-supportrice n’a plus lieu au stade que pour une minorité, qu’elle soit de 30.000 ou 60.000 personnes : le lieu de la Fête, désormais démultiplié, ce sont ces millions de téléspectateurs dans des bistrots bondés, devant des écrans géants essaimant dans les villes ! Si grand stade il y avait, il ne serait que cerise sur le gâteau festif.

500 millions pour une cerise, c’est quand même fort cher … Ce serait peut-être citoyen d’y renoncer, non ? Ce n’est quand même pas le foot du top qui sent la mort, le quart-monde, la maladie, le manque de flouze… Ou alors, si l’on tient vraiment à utiliser ce fric footballistiquement, pareille somme permettrait d’équiper en terrains synthétiques un bon millier de clubs du royaume : un terrain en moins pour hurler dedans, mille terrains en plus pour jouer dessus et pas dans la gadoue. On gagnerait au change, le manque d’infrastructures n’est pas celui qu’on croit…

(*) cfr Simon Kuper et Stefan Szymanski, Les attaquants les plus chers ne sont pas ceux qui marquent le plus, De Boeck, 2016, p. 313

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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