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Eurostade : un mariage à l’aveugle

Qui oeuvre contre qui dans le dossier de l’Eurostade et pourquoi ? Éclairage et résumé du dossier.

Qu’est-ce qui fait défaut au Stade Roi Baudouin ?

Le stade du Heysel date de 1930. Après le drame du 29 mai 1985, pendant la finale de Coupe d’Europe des Clubs champions entre la Juventus et Liverpool, il a été rénové, rebaptisé stade Roi Baudoin et utilisé pour l’EURO 2000. La nouvelle façade a été conçue par Bob Van Reeth, qui a misé sur la simplicité… faute de temps. Pas de temps, pas d’argent, une occasion ratée, tout le monde a été rapidement d’accord là-dessus.

En théorie, l’accessibilité devrait être bonne: il y a deux arrêts métro, le tram y passe, le ring et le parking C sont proches. Malheureusement, la structure du parking ne permet de faire passer par le ring que 4.200 voitures par heure alors que les voies d’accès au parking ne peuvent traiter que 1.500 autos par heure. Conséquence: des files sur le ring. C’est pénible, y compris lors des divers salons et concerts au Palais 12, une salle de 17.000 personnes.

L’accueil est catastrophique: il faut dresser des tentes sur les parkings lors des grands événements. Le stade ne satisfait plus aux normes UEFA. La distance entre les rangées de sièges est trop étroite et le terrain est trop éloigné à cause de la piste d’athlétisme. Pire, la structure est en proie à une usure grave. Les fuites d’eau et la rouille ont abîmé la toiture.

Pourquoi ne pas rénover ce stade ?

À cause d’une série de défauts structurels. En théorie, la seule solution consisterait à tout démolir et à reconstruire un stade au même emplacement. Cependant, faute de place, ce stade ne serait jamais rentable car il ne répondrait jamais aux normes UEFA, surtout pour un EURO, alors que Bruxelles fait partie des treize villes candidates.

La distance mais surtout le manque de place pour l’accueil -il faut au moins 13.500 mètres carrés pour les VIP plus un espace commercial de 3.000 mètres carrés- posent problème. Sans soutien public, c’est impossible et il n’y en a justement pas. En plus, la ville et la Région de Bruxelles on un autre projet baptisé Neo.

Que vient faire Neo là-dedans ?

Neo est issu d’une collaboration entre le privé et le public. Le projet implique la construction d’un tout nouveau quartier sur le site. Neo 1, la première phase, est assez rapide: deux à trois ans. Elle doit débuter avenue Houba de Strooper, le boulevard le long du stade actuel. Il y aura un grand complexe de shopping et de distractions à la place du parking VIP et presse. Kinepolis et Mini Europe sont intégrés aux plans. Pas Océade car les piscines sont une charge plutôt qu’une source de rentrées.

Neo 2 vient de l’autre côté du stade Roi Baudoin. Il comporte une salle de congrès de 5.000 places et un hôtel. Ces deux projets sont attribués et se trouvent dans la phase des permis. Par contre, Neo 3 n’est pas encore attribué. Il sera situé à la place du stade. Neo 3 est prévu pour la construction d’habitations et d’écoles. Tout le sport disparaîtra-t-il ? Non.

Le Primerose reste, il y aura des terrains de sport polyvalents et l’Excelsior, le club d’athlétisme, aura une piste à huit couloirs. On n’a pas encore pris formellement la décision d’abattre le stade Roi Baudouin mais ce sera un fait d’ici cinq ans. S’il n’y a pas d’Eurostade d’ici là, Bruxelles n’aura plus de grande arène de football.

Où doit être installé l’Eurostade ?

Sur le parking C. Il sera également transformé, avec un vaste parking souterrain de 10.000 emplacements et plusieurs accès, Est et Ouest, afin d’absorber 6.000 autos par heure. Il y aura aussi un stade de football, un parc de 17 hectares, un espace de détente et un campus d’innovation. Il y aura des bureaux mais pas de magasins ni d’habitations. Celles-ci sont autorisés, en théorie, mais pas les boutiques.

Le parking doit devenir un park and ride, géré en collaboration avec Bruxelles, qui se chargera de la jonction avec le réseau de trams. Le reste est privé. Ghelamco bâtit un arrêt métro en sous-sol mais la ligne n’est pas étendue dans l’immédiat. La société d’Ypres a obtenu un bail emphytéotique de 99 ans à condition d’y construire un stade capable d’accueillir des matches de l’EURO 2020 et d’avoir un accord avec un club locataire. Cette condition place Anderlecht dans une position de force pour ses négociations.

L’UB s’est-elle engagée à quelque chose ?

Non. Si ce n’est qu’elle fait partie du comité d’organisation belge de l’EURO 2020. La construction de nouveaux stades fait partie de sa stratégie. En janvier 2011, lors de sa prise de fonction comme CEO, Steven Martens a lancé un plan pour bâtir cinq stades dont un national multifonctionnel d’ici 2020. Le 3 octobre 2013, le comité exécutif de l’URBSFA a confirmé cet objectif stratégique.

Pour l’heure, Bart Verhaeghe, adversaire du projet depuis le début, en fait partie. Il a obtenu le soutien de Roland Duchâtelet (Standard). Sous l’impulsion du président du Club, devenu vice-président de l’UB, la Pro League s’est rapidement retirée. L’UB, qui s’est séparée de Steven Martens en février 2015, refuse également de s’engager avec l’équipe nationale. Il n’y a toujours pas de contrat d’exclusivité avec Bruxelles.

L’équipe nationale n’est pas obligée de se produire au stade Roi Baudouin. Dans un passé récent, elle a d’ailleurs disputé des matches amicaux ailleurs: à Genk contre le Luxembourg, à Sclessin contre l’Australie et à Bruges contre la Slovaquie. L’assistance a été décevante: environ 20.000 spectateurs à Bruges, à peine 17.000 à Liège.

La fédération a le sentiment que les supporters préfèrent Bruxelles et sa position plus centrale. Elle serait stupide de ne pas organiser ses matches dans l’Eurostade, plus vaste et plus accueillant, s’il voit le jour. Après tout, il faut remplir la caisse. Bart Verhaeghe, qui veut faire voyager l’équipe nationale, semble isolé, faute d’alternatives valables. Il voit dans Neo un concurrent à son UPlace.

Quoi qu’il en soit, la rentabilisation du stade est moins importante pour l’équipe nationale que pour un club. Durant les six dernières années, les Diables Rouges ont joué en moyenne trois matches officiels et trois amicaux à domicile, par saison. Anderlecht dispute trente matches par an sur ses terres, en moyenne.

Paul Gheysens, le CEO de Ghelamco et Roger Vanden Stock, le président d'Anderlecht.
Paul Gheysens, le CEO de Ghelamco et Roger Vanden Stock, le président d’Anderlecht.© BELGA

Anderlecht s’est-il engagé ?

Oui. Le 28 octobre 2015, il a signé un pré-accord. En liant le bail emphytéotique au sort d’un club, la région a placé Ghelamco, choisi le 19 mars 2015, dans une position délicate. C’est un peu comme l’émission TV Mariés au premier regard: Ghelamco a épousé Anderlecht avant que les deux parties aient fait connaissance.

Le fiancé a eu du mal à conclure un accord avec sa fiancée, d’autant que celle-ci aurait préféré que son amant, Denys, bâtisse le stade. Du 19 mars au 28 octobre 2015, le jour de la signature d’Anderlecht, après un difficile conseil d’administration, il s’est écoulé sept mois de négociations pénibles. Les deux parties n’étaient d’accord que sur trois points: le montant du loyer (initialement, les trois candidats à la construction proposaient 9,7 millions mais la somme a été revue à la baisse), la durée du bail (trente ans) et la taille du stade: 60.000 places.

Tout le reste a été l’objet d’incessantes discussions. Tout a été négocié: le prix, l’attribution, le budget d’aménagement, le parking, les grands travaux d’entretien, les investissements de remplacement, les petits travaux d’entretien, le catering, la conformité aux normes UEFA, le merchandising, l’utilisation de la façade, la possibilité de réduire la capacité du stade (Anderlecht ne souhaite que 45.000 places pour les matches normaux de championnat, selon le modèle de Stockholm, où on recouvre les tribunes vides), l’informatique, le nettoyage, l’utilisation des commodités, l’accueil, les droits de noms, les mécanismes d’indemnisation, etc…

L’appendice 2 comporte un livre qui décrit tout, salle par salle. Comme tout n’avait pas été discuté le 28 octobre, on a repris une série de points à négocier. Avec une phrase: les deux parties tiendront compte des remarques de chacune.

Anderlecht peut-il renier cet accord ?

Vendredi, le club a fait savoir, dans un communiqué, qu’il ne déménagerait pas dans les conditions actuelles. Officiellement, il s’abstient de commentaire mais bic en poche, il affirme ne pas être suffisamment entendu par l’entrepreneur et trouver sur la demande de permis des bâtir des points différents de ce qui a été convenu. Aux yeux du Sporting, la fameuse dernière phrase est remise en cause. Ceux qui, ces derniers mois, ont lu le fameux appendice 2 ont du mal à le croire. Il doit y avoir autre chose. Et c’est la difficile phase de transition dans laquelle se trouve le club.

Depuis 2010, Anderlecht est une SA dont la famille Vanden Stock détient la majorité des parts. Philippe Collin en possède aussi mais avec moins de droit de vote. Michael Verschueren, fils de, en a aussi, comme d’autres: Etienne Davignon, Alexandre Van Damme et Johan Beerlandt, impliqué dans Neo via Besix. Anderlecht s’est engagé à louer l’Eurostade après des discussions avec Vanden Stock, Collin et Verschueren. Ces deux derniers ont disparu du dossier depuis. C’est Jo Van Biesbroeck, le bras droit d’Alexandre Van Damme, qui mène les négociations.

Van Damme est encore un très petit actionnaire mais il est fortuné et tout le monde le considère comme le futur nouveau propriétaire. Il possède une option d’achat sur les parts de la famille Vanden Stock. Passé un délai de cinq ans, les actions peuvent être vendues. Le stade a un rôle dans la détermination de leur valeur, y compris pour le nouveau propriétaire. Semer des doutes sur le rendement de l’Eurostade pourrait faire diminuer le prix. D’un autre côté, Van Damme a aussi intérêt à conclure le deal le plus intéressant possible avec Ghelamco s’il veut vendre ses actions un jour.

Roger Vanden Stock est sur la touche. C’est Jo Van Biesbroeck qui communique et la date-butoir de l’EURO 2020 n’est pas la sienne. En soi, ils n’est pas contre le prix du loyer. Selon diverses études, il correspondrait à environ 23% des recettes issues de la billetterie.

Le temps presse. Le bail emphytéotique n’est valable que si le stade est prêt pour l’EURO 2020. Si toutes les manoeuvres de retardement nous font dépasser ce délai, cette condition sera menacée. Le bail sera-t-il refusé ? Ce sera une bataille juridique. Est-ce la fin du projet Ghelamco ? Pas à coup sûr.

Mais il se pourrait qu’il y ait une nouvelle adjudication et qui sait si les conditions ne changeraient pas encore. Çà a été le cas avec l’Oosterweel d’Anvers: le pont de jonction du ring est devenu un tunnel et on a repris toute la procédure à zéro. C’est possible ici aussi. Anderlecht semble avoir le temps: son stade actuel reste suffisant. Il l’a fait savoir à l’UEFA, au grand dam des politiciens bruxellois. Inbev a l’art de la négociation et Roger Vanden Stock semble lié par l’option d’achat. « Je ne peux pas signer, je suis quand même président ? », a-t-il demandé à Van Biesbroeck, à la stupéfaction des politiciens, lors de la signature du pré-contrat. Les temps changent.

Anderlecht a-t-il une alternative ?

Pas directement. Partout ailleurs, il s’est heurté à un njet politique. Ceux qui connaissent le dossier ont une légère préférence pour Barca, le site près de Ceria et la nouvelle gare voisine du Park and Ride près d’Erasme. L’agrandissement de son stade est plus problématique, notamment à cause de la mobilité. Le Sporting ne gagnerait que 5.000 places. Pas assez.

Le parking C du Heysel où devrait être bâti le nouveau stade national.
Le parking C du Heysel où devrait être bâti le nouveau stade national.© BELGA

Qu’en est-il du chemin vicinal du parking C ?

Nous avons failli l’oublier, ce fameux chemin vicinal et les protestations de la population locale. Ce chemin traverse le parking C. Il était autrefois utilisé pour aller de Strombeek, qui fait partie de la commune de Grimbergen, à Wemmel, et par des paysans pour rejoindre leurs champs jusqu’en 1958. À l’occasion de l’EXPO, ils ont été expropriés et les trente hectares sont tombées dans l’escarcelle de l’état, qui les a offerts à Bruxelles trois ans plus tard.

Le terrain a été utilisé pour l’expo puis transformé en parking. L’aménagement du ring a de facto coupé l’accès à ce chemin vicinal, dont les deux bouts sont coupés mais pas le reste. En principe, le conseil communal de Grimbergen doit adresser une demande à la députation permanente, qui en a décidé autrement début janvier, allant à l’encontre d’une décision du juge de paix datant du 5 septembre 2016, dans laquelle la commune elle-même plaidait pour la suppression de ce chemin. Ghelamco brandit ce jugement.

Demain, la bourgmestre de Grimbergen doit donc demander une nouvelle fois à son conseil d’envoyer la demande de suppression du chemin vicinal à la députation permanente. Sinon, ça va coûter très cher. La suppression est nécessaire car personne ne peut bâtir sur la voie publique. Tant que ce n’est pas fait, toute demande de permis de bâtir est nulle et non avenue. Ensuite, la valse des autorisations pourra reprendre et il faudra attendre le permis de bâtir, délivré par… la commune, après collecte des différents avis de l’environnement et autres.

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