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Bolingi, le danseur de l’Excel

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

La chicotte, le grand frère Mbokani, le débarquement au Standard, les buts avec Mouscron : voici les clés pour comprendre le parcours de Bobo.

C’est un instantané. Le classement après cinq journées de championnat. Le Standard a marqué trois malheureux buts. Jonathan Bolingi a scoré trois fois pour Mouscron. À lui seul, il fait aussi bien que Paul-José Mpoku, Edmilson et Orlando Sá réunis. Encore cette précision : Bolingi appartient au Standard, qui le prête pour une saison à Mouscron. Cherchez l’erreur ? Aleksandar Jankovic, qui a vu débarquer le gaillard à l’Académie en février, va nous détailler sa théorie dans ce reportage :  » Bolingi à Mouscron, c’est du win-win…-win. Tout le monde peut être gagnant : le Standard, Mouscron et le joueur. « 

Le passage de Bolingi du Tout-Puissant Mazembe à Liège, c’était l’ultime coup de Daniel Van Buyten. Au même moment, il avait fait venir, en location de quelques mois, trois joueurs de ce club : Bolingi, Merveille Bokadi et Christian Luyindama. Le Standard avait reproché à Big Dan d’avoir fait cavalier seul sur le coup. Et un clou dans le cercueil du grand, un… Mais aujourd’hui, Bolingi, c’est Alors on danse !

Première danse sur le terrain d’Ostende, lors de l’ouverture du championnat en cours. Jonathan Bolingi est le meilleur homme sur le terrain. Et l’auteur de l’unique but du match. Centre parfaitement calibré venu de la gauche par Fabrice Olinga, reprise de la tête rageuse, Silvio Proto est mort. Bolingi fait alors son show, c’est une découverte.

 » C’est le fimbu, la chicotte « , nous explique Grégory Delreux, responsable communication de Mouscron. Ah bon ?  » Quand il célèbre son but ce jour-là, il mime le gars qui fouette, les autres joueurs se placent derrière lui et font la même chose. Avec une chicotte, oui, tu ne connais pas ? Une chicotte, c’est un fouet à lanières…  »

L’homme de com’ nous renvoie alors à un tube populaire africain, Fimbu, interprété par un certain Félix Wazekwa. Il accompagne son hit d’une danse dans laquelle tout le monde fouette gaiement. C’est très coloré. Et c’est devenu la marque de fabrique des Léopards, les internationaux congolais, quand ils viennent de marquer et/ou de gagner.

Bolingi l’a donc importée et la chicotte a vite fait tache d’huile au Canonnier et au Futurosport.  » Cette mini-danse est devenue un gimmick dans le vestiaire, tous les joueurs s’y sont mis, ils font la chicotte pour un oui, pour un non.  » Et le club a téléchargé le morceau pour le diffuser dans les haut-parleurs du stade, les soirs de buts et de victoires.

 » Merci Standard « , par Mircea Rednic

Bolingi est en pleine forme à l'Excel Mouscron.
Bolingi est en pleine forme à l’Excel Mouscron.© BELGA

Retour au foot, au jeu… Jonathan Bolingi a très peu joué la saison dernière avec le Standard. Deux matches complets, et l’une ou l’autre apparition de quelques minutes. Bokadi et Luyindama ont eu à peine plus de temps de jeu. Pourtant, le club a levé les trois options d’achat en fin de championnat. Etonnant ? Pas tant que ça à partir du moment où c’était un pari très peu risqué : pour les trois joueurs, la dépense totale tournait autour du demi-million d’euros. Il suffira que l’un des trois perce pour que l’investissement soit facilement rentabilisé.

Mais la reprise des entraînements n’a pas été drôle pour Bolingi. Verdict de Ricardo Sa Pinto : direction noyau B. Et ce message subliminal : trouve-toi autre chose. Mouscron a flairé l’affaire. Et Mircea Rednic a fait son résumé après le but victorieux de son Congolais à Ostende :  » Le Standard a vraiment très bien fait de le laisser partir. « 

Mais qu’est-ce qu’il a de spécial, celui que les Rouches avaient directement rebaptisé Bobo ? Dans la vie, il passe plutôt inaperçu.  » Il est sur la réserve « , explique Grégory Delreux.  » Il est assez timide. Par exemple, il déteste les interviews pour la télé. Il faudrait presque le tirer par la manche pour qu’il y aille. À côté de ça, c’est un gars extrêmement sympa et souriant. Il ne perd son sourire que quand il n’a pas été bon. Ou quand l’équipe n’a pas répondu à l’attente. Après notre lourde défaite à domicile contre Charleroi, par exemple, il n’était plus le même, il était renfermé.  » Bolingi traîne le plus souvent avec Taiwo Awoniyi, son coéquipier nigérian prêté par Liverpool.

Jonathan Bolingi a connu une enfance où ça ne rigolait pas tous les jours. Son père était gardien de but de bon niveau : international zaïrois, plusieurs participations à la Coupe d’Afrique des Nations, une légende chez lui. Et un long passage en Afrique du Sud, où le foot payait plus qu’au pays. Ça n’a pas facilité la vie de Bobo. Des parents séparés, un père à des milliers de kilomètres, il a donc été élevé en bonne partie par un oncle, un frère de son paternel. D’où cette confidence :  » Je n’ai pas profité de mon enfance, de mes parents comme je l’aurais souhaité. « 

 » Pourquoi je ne faisais pas jouer Bolingi au Standard « , par Aleksandar Jankovic

Lors de l'un de ses rares matches avec le Standard.
Lors de l’un de ses rares matches avec le Standard.© BELGA

Aleksandar Jankovic revient sur les premières semaines liégeoises du bonhomme.  » J’ai hérité de trois Congolais. J’ai directement constaté que Merveille Bokadi était un leader naturel, que Christian Luyindama était un guerrier pur et que Jonathan Bolingi était plus effacé. Je dirais que ce n’est pas quelqu’un de très bruyant… Mais il a été directement respecté par le vestiaire, pour ne pas dire aimé. « 

Mais s’il a peu joué avec le coach serbe, ce n’est pas à cause de sa personnalité sur la réserve ou de sa difficulté à communiquer en français, qu’il comprend mais ne parle pas trop bien vu qu’il a été élevé en lingala.  » C’était déjà une star dans son pays mais il fallait qu’il s’adapte chez nous. Le contexte n’était vraiment pas favorable. L’équipe ne tournait pas. Il n’est arrivé qu’en février parce qu’il a d’abord dû régler des problèmes administratifs. Et puis, sur le plan purement sportif, c’était difficile pour moi de lui donner beaucoup de temps de jeu.

On m’a amené, pendant le mercato d’hiver, Filip Mladenovic, Danilo Barbosa, Valeriy Luchkevych, Moussa Djenepo et les trois Congolais. Des origines très diverses, donc, à une période où il fallait se concentrer sur l’accession aux play-offs 1. Mais je devais respecter le quota de joueurs belges sur la feuille de match ! Et puis il faut se rappeler le contexte sportif. J’avais un Orlando Sá qui pétait la forme et marquait pas mal de buts. Il était incontournable, évidemment. C’était logique que je fasse plutôt confiance à un Belge, Renaud Emond, comme attaquant numéro deux. « 

Bref, Jonathan Bolingi Mpangi Merikani (pour être complet) n’a pas frappé les esprits à Liège.  » Je lui ai donné ses premières minutes de jeu contre Malines. Il a raté trois ou quatre occasions parce qu’il voulait en faire trop, et trop vite. Il était trop précipité, il avait trop envie de se montrer. Mais je lui voyais des qualités. Malgré son grand gabarit, il est relativement mobile. Il pèse sur les défenses. « 

L’Afrique du Sud et la Coupe d’Afrique des Nations, comme papa

Jonathan Bolingi est une star au Congo.
Jonathan Bolingi est une star au Congo.© Icon Sport

Quand l’ex-coach des Rouches signale que Bolingi est une star au Congo, il voit juste. Avec le Tout-Puissant Mazembe, il a été champion national et a gagné la Ligue des Champions africaine. Avec la sélection congolaise, il a disputé la dernière CAN. Avant ça, comme son père, il a brièvement goûté au foot en Afrique du Sud. C’était en début de carrière pro, il était prêté au Jomo Cosmos. Il aurait peut-être aimé faire carrière là-bas plutôt qu’en RDC mais il a eu le tort d’être… trop brillant. En neuf matches de préparation avec le Jomo, club installé à Johannesburg, il a planté 23 buts. Le TP l’a vite rapatrié à Lubumbashi.

Quand le Standard s’est intéressé à lui, il a d’abord demandé l’avis de son  » grand frère « , Dieumerci Mbokani. Puis il s’est renseigné auprès d’un coéquipier chez les Léopards, Paul-José Mpoku. Bolingi rêvait  » d’emmener le Tout-Puissant Mazembe au sommet du football mondial « , il rêvait aussi  » d’aller en Europe, je veux jouer au Paris Saint-Germain depuis que je suis tout petit « , c’est donc Mouscron qui doit lancer sa carrière sur notre continent.

 » Il a eu tout à fait raison de quitter le Standard « , analyse Aleksandar Jankovic.  » En fin de saison, il aura peut-être 25 matches dans les jambes et il aura appris à découvrir le championnat avec une équipe qui n’a pas beaucoup de pression. Il va prendre plein de confiance. Ça aurait été beaucoup plus compliqué avec le Standard. Quand il retournera là-bas, tout le monde devrait être gagnant : Mouscron, le Standard et le joueur. Le Standard pourra compter sur un joueur formé.

C’est difficile d’apprivoiser le championnat de Belgique, on voit ça chaque année avec plein de joueurs qui n’y arrivent pas. Même ceux qui font un détour par l’étranger et reviennent, ont régulièrement des problèmes de réadaptation. Alors, s’imposer à 23 ans dans un club qui ne connaît pas la période la plus tranquille de son histoire, c’est ardu. Rien de tout ça à Mouscron, qui a tout d’une équipe tranquille. « 

Par Pierre Danvoye

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