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Belgique – Angleterre : les rois et les runs

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire belge face aux Anglais, synonyme de troisième place mondiale (2-0).

Marquer l’histoire est une question de détails. Aussi absurde qu’elle soit, puisqu’elle oblige deux équipes déjà éliminées à jouer un match supplémentaire dans une phase finale à élimination directe, la « petite finale » a des allures de rendez-vous avec le panthéon sportif national pour les Diables rouges. Trente-deux longues années plus tard, les comparaisons avec la génération 86 pourraient enfin tourner à leur avantage, pour autant qu’ils viennent à bout de ces Three Lions plus efficaces que séduisants lors de l’été russe.

Conscient de la portée symbolique d’une victoire et d’une médaille de bronze, Roberto Martinez aligne un onze de gala. Seul Youri Tielemans fait figure de surprise au coup d’envoi. Le Monégasque, signe d’une sélection déjà tournée vers son futur, s’installe à côté d’Axel Witsel, pour envoyer Kevin De Bruyne un échelon plus haut dans un système qui ressemble à un 3-4-1-2 d’archer, avec le maître à jouer des Citizens placé en guise de corde, pour envoyer les flèches Eden Hazard et Romelu Lukaku vers la cible.

Avec 19 joueurs de Premier League au coup d’envoi, la pelouse devrait plutôt devenir une piste d’athlétisme qu’un échiquier. Un scénario dans lequel les Diables savent briller mieux que personne. Parce que de l’autre côté de la Manche, les vraies stars de la compétition nationale sont plus souvent belges qu’anglaises.

GÉNÉRATION VERTICALE

La deuxième séquence de passes belge est déjà la bonne. Au coup d’envoi, les Diables avaient échangé onze fois le ballon avant de laisser leurs adversaires le sentir une première fois. Quatre minutes plus tard, Axel Witsel lance une nouvelle chorégraphie en onze temps, conclue par un centre de Nacer Chadli repris victorieusement par Thomas Meunier. Un joueur de couloir à la passe décisive, l’autre à la conclusion. Jusqu’au bout du Mondial, le système à trois défenseurs de Martinez en possession de balle aura fait parler ses vertus.

Habitués à jouer avec les muscles face à des attaquants colossaux, les défenseurs anglais sont désarçonnés par les mouvements belges. Au coeur de l’action sans toucher le ballon, Hazard décroche sur le flanc pour sortir Phil Jones, commis à un marquage presque individuel, loin de sa zone. Romelu Lukaku en profite pour s’inviter à la place d’Eden, et offrir un appui à Chadli avant de le lancer vers sa passe décisive. Les Diables sont plus rapides, plus malins, et prennent logiquement les commandes.

La maîtrise du ballon a beau être anglaise, celle de la rencontre est belge. Au milieu, pendant que Ruben Loftus-Cheek et Fabian Delph courent, Youri Tielemans domine. L’ancien Anderlechtois applique les leçons de ses années passées entre René Weiler et Leonardo Jardim. Il récupère le ballon, et lui fait directement gagner des mètres. Avant la fin du premier quart d’heure, il a déjà lancé deux reconversions, conclues par des frappes contrées par l’omniprésent John Stones.

Généralement, Youri cherche les pieds de Kevin De Bruyne. Rapproché de la zone de finition, le rouquin des Diables fait décoller ses chiffres en nonante minutes (3 tirs, 6 occasions créées). Hazard, lui, n’a besoin de personne pour permettre à la balle de franchir la ligne médiane. Positionné dans sa moitié de terrain sans jamais vraiment défendre pendant les possessions anglaises, le capitaine attend que ses huit éléments défensifs fassent leur boulot, puis récupère le ballon pour le porter jusqu’au camp adverse. Son premier run est conclu par une frappe déviée de KDB, qui manque de surprendre Pickford.

LE JEU DES DIX PASSES

L’Angleterre frappe une première fois, via Delph, mais les coups les plus puissants restent belges. Les Diables semblent jouer à un jeu des dix passes, au bout duquel la onzième transmission doit être une passe de finition. Le chronomètre indique 17 minutes quand De Bruyne accélère le tempo en une touche de balle. Seul aux 25 mètres, il envoie la onzième passe d’une possession belge dans la foulée de Lukaku, obligé de faire la touche de trop à cause d’un retour de Maguire. Cinq Anglais avaient été éliminés par l’oeil et le pied droit de KDB, mais le sixième a suffi pour priver Romelu du 2-0.

Exonérés de tâche défensive, les trois offensifs belges regardent Eric Dier offrir un long ballon à Raheem Sterling, qui réussit son seul geste réfléchi du match pour offrir une frappe dangereuse à Kane. Le deuxième quart d’heure est plus partagé, mais se conclut encore par une occasion belge, initiée par un Lukaku meilleur hors de la surface que dans sa zone de prédilection. Sorti des griffes du trio défensif anglais, le Mancunian ouvre sur Chadli, qui passe via Hazard et Lukaku pour offrir une frappe à Tielemans. Stones est sur la trajectoire, encore. L’histoire se répète quatre minutes plus tard, quand le défenseur de City envoie une frappe d’Hazard en corner, sur lequel un tir raté de Tielemans se transforme presque en passe décisive pour Alderweireld.

Omniprésent, comme s’il était déjà installé dans le onze de base, Tielemans offre une dernière opportunité à la Belgique dans les dernières secondes de la première période, quand il envoie Lukaku au duel avec Stones. Meilleur dos au jeu que face au but dans sa dernière sortie du tournoi, Big Rom’ perd le duel et accompagne les autres acteurs de la rencontre aux vestiaires.

PILE OU FACE

Avec les montées au jeu de Marcus Rashford et Jesse Lingard, Gareth Southgate ajoute de la qualité aux courses balle au pied de ses Lions. Après une dizaine de minutes temporisées, une volée de Lingard donne le coup d’envoi du temps fort anglais. De la 54e à la 80e minute, la division offensive adverse frappe à neuf reprises (contre deux tirs belges), et arrose la surface de centres ou de phases arrêtées bien maîtrisées par Kompany et Alderweireld (7 dégagements à eux deux, sur les 13 nationaux pendant cette période).

La Belgique joue sa seconde période à pile ou face. Elle laisse l’Angleterre avancer pour mieux la châtier en reconversion. Lukaku manque son contrôle au bout d’une nouvelle passe géniale signée De Bruyne, et quitte ensuite la pelouse pour laisser sa place à Dries Mertens. Le choix du Napolitain chagrine les fans de Michy Batshuayi, mais oblige les Diables à éviter un jeu long qui tourne de plus en plus souvent en faveur de Jones, Maguire et Stones. Privés de repères, les défenseurs anglais accompagnent un décrochage de Mertens et laissent Hazard profiter d’un ballon en profondeur d’Alderweireld. Le contrôle du capitaine fait mourir un ballon qui aurait dû rester vivant pour finir au fond des filets, mais la menace diabolique s’affûte.

Toby apparaît ensuite de l’autre côté du terrain, quand Dier profite de l’absence de travail défensif de KDB pour s’appuyer sur Rashford et partir à la rencontre de Courtois. Le gardien force le ballon piqué, et Alderweireld le sauve à même la ligne, d’un tacle qui fait sans doute partie des gestes techniques les plus précis du tournoi belge. Pas aussi précis, cependant, que le chef d’oeuvre de la 79e minute, lancé par une interception de Dembélé, tout juste monté au jeu. Mertens sert d’appui à la sortie de balle de Kompany, puis alerte Hazard et De Bruyne, qui le relancent chacun d’une talonnade aussi télégénique qu’efficace. Le centre final de Dries ressemble à un mauvais choix, mais manque de se transformer en but du tournoi, quand Pickford place la main au bout de la volée de Meunier.

LE MONDE D’EDEN

Les gants de Courtois sont au bout d’un tir de Rashford, et initient une nouvelle séquence belge. Quinze passes qui éveillent les pieds de tout le secteur gauche du onze national, et qui se concluent par un ballon délicieux de Kevin De Bruyne dans la course d’Eden Hazard. Arrivé face à Pickford, le capitaine négocie son duel comme un penalty. Le pied semble ouvert pour rendre hommage à Thierry Henry, mais Eden prend le monde entier à contre-pied et fait claquer les filets au premier poteau.

Le Mondial belge se termine avec une médaille autour du cou. Un parcours inespéré mené par les yeux de Kevin De Bruyne, la détermination de Romelu Lukaku, les gants de Thibaut Courtois, les muscles de Toby Alderweireld, les poumons de Thomas Meunier et Nacer Chadli, ou encore les méninges de Roberto Martinez. Surtout, mené par les jambes enflammées d’Eden Hazard, auteur de sept dribbles supplémentaires face aux Anglais pour porter son total à quarante dribbles réussis. Même le Lionel Messi de 2014 voit Hazard débouler dans son rétroviseur.

Eden s’est servi de l’été russe pour élever sa carrière d’un cran. Même Londres-la-gigantesque semble devenue trop petite pour héberger son talent. Les géants espagnols sont aux aguets, et le numéro 10 s’imaginerait bien passer d’une capitale à une autre. Direction Madrid ? En football, seuls les plus grands peuvent ouvertement rêver d’un mariage blanc.

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