© REUTERS

Antoine Griezmann : le petit bleu

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Les artistes ont beau avoir cédé du terrain aux athlètes, un frêle mètre 76 peut suffire pour s’installer parmi les géants du jeu. Il suffit qu’aux deux extrémités se trouvent un pied gauche délicieux et un cerveau qui comprend tout ce qui se passe sur le terrain.

Rugueux, à l’image d’un Diego Costa qui attaquait les défenses adverses avec l’allure d’une moissonneuse en plein mois de juillet, l’Atlético s’était habitué à donner des coups. Les plus retentissants furent les coups de théâtre. Celui d’un sacre inattendu en Liga, d’abord, en pleine apogée du Barça de Lionel Messi et du Real de Cristiano Ronaldo. Celui d’une finale de Ligue des Champions, ensuite, atteinte après être venu à bout du deuxième Chelsea de José Mourinho.

Il fait partie des joueurs qui comprennent le mieux où et comment se déplacer.  » Diego Simeone

Les Colchoneros ont fini par recevoir le revers de la médaille en plein visage. Les coups encaissés sont portés par le front de Sergio Ramos, qui arrache la prolongation en finale de la Champions League et lance le Real vers sa Décima. Et puis, par le portefeuille bien rempli de Roman Abramovich, qui pille les rangs madrilènes pour offrir un triple cadeau à Mourinho : Thibaut Courtois revient de prêt, et partage le voyage avec Diego Costa et Filipe Luis, deux autres piliers du gang de Diego Simeone.

À la tête d’un nouveau trésor de guerre, El Cholo convainc l’autre club de Madrid de s’offrir un secteur offensif tout neuf, histoire d’espérer maintenir le rythme infernal des géants du continent. Mario Mandzukic, vainqueur de la Coupe aux grandes oreilles à la pointe de l’attaque du Bayern douze mois plus tôt, s’installe à Madrid. Le géant croate, qui doit remplacer la domination aérienne perdue avec le départ de Diego Costa, est rapidement rejoint par Antoine Griezmann.

Le petit gaucher français débarque de la Real Sociedad. Si son pays d’adoption le connaît depuis quelques années, grâce notamment à une dernière saison conclue à 16 buts en Liga sous le maillot bleu et blanc du club de San Sebastian, sa terre natale a dû attendre un barrage de Ligue des Champions contre Lyon et une Coupe du monde brésilienne conclue en quarts de finale pour se familiariser avec son nouveau phénomène offensif.

À l’époque, Grizzy n’est encore qu’un rouage de la mécanique de Didier Deschamps, organisée autour des sprints de Blaise Matuidi et du jeu inspiré de Karim Benzema. Deux ans plus tard, pourtant, c’est Antoine qui mènera les siens vers la finale de l’EURO français, empochant les titres de meilleur joueur et de meilleur buteur en cours de route. En vingt-quatre mois, le frêle ailier descendu du Pays Basque s’est transformé en crack dans la capitale.

L’intelligence en mouvement

Koke remonte le cours de l’histoire dans les colonnes de So Foot. Retour à l’été 2014, au lendemain du Mondial brésilien :  » Quand Griezmann est arrivé chez nous, on jouait avec une ligne de quatre au milieu. Il a donc dû s’adapter pour s’intégrer au système.  » À la Real Sociedad, le Français évolue en effet comme ailier, généralement sur le côté gauche, et se pose très haut dans le 4-3-3 basque.

Un rôle inexistant dans le football intense du Cholo Simeone, installé en 4-4-2 avec des flancs occupés par Koke, meneur de jeu excentré, et Raul Garcia, cible préférentielle des longs ballons du gardien grâce à son jeu aérien hors-normes et sa puissance XXL. Le petit Antoine a beau peser 30 millions d’euros, qui font alors de lui le deuxième transfert le plus cher de l’histoire de l’Atlético après Radamel Falcao, il apprend vite que Simeone ne fait pas son onze de base avec son portefeuille.

 » Pendant les premiers entraînements, je manquais d’air et les jambes étaient lourdes « , raconte Griezmann au début de l’automne 2014, quand son atterrissage à Madrid semble enfin accompli.  » À la Real, on ne jouait pas avec autant d’intensité. Et puis, je jouais à gauche, et maintenant je suis plus à l’intérieur du jeu. Je dois m’habituer.  »

Le nouvel environnement du Français devient rapidement sa propriété. Une fois adapté au jeu des Colchoneros, Antoine boucle sa première saison en rojiblanco avec 25 buts au compteur, toutes compétitions confondues.  » Nous l’avons poussé à jouer en attaque « , se rappelle Simeone, ciblé par les critiques lors des premières semaines compliquées vécues par son nouveau poulain.  » Beaucoup m’ont pourtant dit qu’il ne pouvait pas jouer là…  »

L’Argentin comprend rapidement que ses détracteurs se trompent. Tout part d’un constat, dressé par tous les coaches qui ont connu Antoine Griezmann. À commencer par Martin Lasarte, l’homme qui l’a lancé chez les pros à la Real :  » Ce qui a tout de suite attiré mon attention, c’est le fait qu’il prenait toujours les bonnes décisions, malgré son jeune âge.  »

Un adulte dans un corps de frêle adolescent, physique atypique sur ses terres à l’époque d’une France qui privilégiait les athlètes aux pieds moyens aux talents fluets. Aimablement refusé dans tous les centres de formation nationaux, Grizzy avait alors dû traverser les Pyrénées pour lancer sa carrière.

Là, l’enfant de Mâcon apprend à jouer comme un Espagnol. Trop désavantagé physiquement pour chercher le contact, son gabarit l’incite naturellement à chercher des espaces où personne ne pourra le toucher.  » On apprend sur base de son propre corps « , aimait répéter Johan Cruyff. Celui du petit Antoine l’a incité à devenir un joueur d’espaces, plutôt que de duels.

Promenade entre les lignes

 » On va rencontrer un joueur qui se déplace sur l’ensemble du terrain « , prévient Jorge Jesus, coach du Sporting CP, avant le quart de finale d’Europa League qui opposait ses Leones à l’Atlético. Posé en soutien de l’attaquant, avec une liberté de mouvement qui semble totale quand son équipe est en possession du ballon, Griezmann étale tout son registre : décrochages pour offrir un appui à un équipier en difficulté, conservation du ballon pour faire remonter le bloc, orientation du jeu, voire exploit individuel. Tout est fait avec la même justesse. Et toujours dans le sens du jeu.

 » Il se place toujours au bon endroit pour offrir une solution « , souligne Koke, maître de l’organisation du jeu madrilène qui semble ravi de pouvoir compter sur un socio de qualité dans les phases de possession. Griezmann aime voler vers la gauche, où il s’associe avec les pieds habiles de Koke et de Filipe Luis, latéral offensif et technique comme seul le Brésil semble pouvoir les dessiner.

Diego Simeone, pourtant particulièrement méticuleux au tableau noir, s’est adapté au rayon d’action qu’irradie son crack tricolore.  » J’ai toujours dit qu’il faisait partie des joueurs qui comprennent le mieux où et comment se déplacer « , argumente El Cholo.  » Tu peux le placer à un endroit de ton schéma tactique, mais il finira par résoudre de la meilleure des manières toutes les situations difficiles qu’il observe dans une autre zone.  »

Posté derrière Fernando Torres chez les Matelassiers, Griezmann est le nouvel homme fort de l’Atlético, qu’il emmène une nouvelle fois en finale de la Ligue des Champions au printemps 2016, dans le money-time d’une saison conclue avec 32 buts et le scalp du meilleur Bayern de Pep Guardiola dans les valises.

Le Français prend une autre dimension, qui oblige même Didier Deschamps à abandonner son 4-3-3 habituel en plein EURO pour installer Grizzy dans sa zone de confort, entre un milieu de terrain formé par Paul Pogba et Blaise Matuidi et une attaque menée par le front d’ Olivier Giroud.

Auteur d’un doublé contre l’Allemagne en demi-finale, le Colchonero voit Cristiano Ronaldo le priver d’un deuxième titre majeur en quelques semaines, et échoue sur la troisième marche du podium du Ballon d’or au bout de l’année 2016.

Un tueur qui aime le collectif

Griezmann ne cesse de prendre du galon, et l’Atlético peut même se permettre le luxe de rater le casting de ses attaquants tout en restant compétitif. Après avoir gaspillé 40 millions d’euros sur Jackson Martinez, les dirigeants misent sur un Kevin Gameiro intéressant à Séville, mais un peu trop léger pour franchir le seuil qui sépare une finale d’Europa League d’un dernier carré de C1.

Même la sanction infligée par l’UEFA, qui prive le club de transfert, n’empêche pas les Colchoneros de s’inviter une nouvelle fois en demi-finale de Ligue des Champions. Si le Real passe encore par-là, Antoine est bien devenu la référence offensive de l’ Atléti, passant pour la troisième fois consécutive la barre des 25 buts saisonniers.

Les roses plantées par le meilleur jardinier de France masquent un temps les problèmes traversés par l’Atlético. Diego Simeone en est conscient :  » Antoine nous a donné de mauvaises habitudes, parce qu’il est devenu le joueur qui résout toujours les problèmes offensifs de l’équipe.  » Jusqu’à ce qu’il cesse d’être imprévisible.

Pour résoudre ses problèmes dans la surface adverse, Simeone finit par placer son numéro 7 à la pointe de son schéma. Il y a deux façons de fonctionner quand l’équipe comporte un crack de ce niveau : mettre l’équipe à son service, en imaginant un système de jeu qui le place dans un confort idéal pour l’expression de ses qualités, ou bien le mettre au service de l’équipe.

Privé de transferts, confronté à un noyau trop étroit et limité de l’autre côté de la ligne médiane, El Cholo doit miser sur la seconde option. Son joyau, déjà perturbé par les rumeurs d’un départ avorté pour Manchester United pendant l’été, en souffre au début de cette saison.

 » Je dois être un tueur alors que j’aime le collectif « , raconte Griezmann dans sa biographie.  » Devant, je peux rester trente minutes sans toucher le ballon. Si je vois que l’équipe a besoin que je sois plus disponible, je descends un peu, même si ça ne plaît pas à l’entraîneur. Ce qui m’intéresse, c’est de faire mal à la défense.  »

Retour au sommet

Dès qu’il est installé en pointe, Antoine l’insaisissable devient une proie plus facile pour les défenseurs. Il traverse même une longue période sans marquer, ponctuée par les sifflets du Wanda Metropolitano, dans lequel l’Atlético vient d’élire domicile. Du début de saison à la fin de l’année 2017, Griezmann doit se contenter de sept buts et de cinq passes décisives en vingt rencontres.

Le retour dans l’équipe de Torres, puis la validation du transfert de Diego Costa lui offrent à nouveau les joies de la liberté derrière un 9 de référence. Et la magie opère à nouveau : depuis le passage à l’an neuf, le Français a planté 20 buts et délivré neuf passes décisives, avec notamment un quadruplé retentissant contre Leganés et un rôle en vue sur la route qui mène à la finale de l’Europa League.

Contre Arsenal, dans un match où Atlético rime à nouveau avec souffrance, c’est lui qui éteint l’Emirates Stadium avec un but qui s’avérera capital lors du match retour, une semaine plus tard. De quoi s’offrir un billet pour Lyon, où se dispute la finale de la compétition. L’occasion de s’offrir enfin un premier titre, après la double défaite en finale de 2016 ?

Le rôle du perdant magnifique est pourtant le costume préféré du sportif français, au pays qui a toujours préféré Raymond Poulidor à Jacques Anquetil. Mais Griezmann a beau avoir un passeport français, son football est né en Espagne. Sur des terres où personne n’aurait jamais adulé Miguel Indurain s’il avait fini deuxième.

Antoine Griezmann : :
Antoine Griezmann : :  » J’ai besoin de Costa et de Giroud pour briller. « © BELGAIMAGE

Diego le libérateur

Condamné à occuper le front de l’attaque des Colchoneros pendant le premier tour, c’est avec soulagement qu’Antoine Griezmann a accueilli Diego Costa sur la pelouse du Wanda Metropolitano. Même si le retour de l’homme fort du football de Diego Simeone à Madrid aurait pu coûter à Griezmann son leadership offensif, il lui offre surtout la liberté dont il ne bénéficiait plus.

Attaquant usant pour une défense, Costa a le volume de jeu et l’aura nécessaires pour focaliser l’attention de la charnière centrale adverse. Des qualités qui permettent à son associé français de bénéficier de plus d’espace entre les lignes, là où il a toujours su faire la différence.

 » J’ai besoin de Costa et de Giroud pour briller « , concède d’ailleurs Antoine quand il est interrogé sur son football en club et en sélection. Débarrassé du fardeau de la finition, sans doute trop lourd à être porté seul, Griezmann peut se concentrer sur la création, en invoquant son sens inné des espaces pour créer le surnombre à n’importe quel endroit du rectangle vert.

 » Je n’ai aucun doute sur le fait que l’arrivée de Costa l’a libéré pour pouvoir se déplacer beaucoup mieux « , affirme Diego Simeone, heureux de pouvoir compter sur l’un des duos offensifs les plus redoutables du continent. Si le collectif de l’Atlético est sans doute le moins bien ajusté de l’ère Simeone, l’association des deux meilleurs joueurs de son règne colchonero peut suffire à brandir un deuxième trophée européen, cinq longues années et deux finales perdues après le premier.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire